Quand Manitas de Plata enchantait le monde

Quand Manitas de Plata enchantait le monde
Manitas de Plata © DR

Des célèbres Gipsy Kings au jeune Kendji Girac, ils sont nombreux à avoir été marqués par le jeu de Manitas de Plata et à savoir ce qu'ils doivent au guitariste français. Car, sans accéder au même niveau de notoriété dans son propre pays, il a ouvert tant de portes en faisant connaître la musique gitane sur tous les continents. The Gipsy Legend, un coffret de neuf albums, est consacré à l'artiste disparu en novembre dernier.

Aux Saintes-Maries-de-la-Mer, haut lieu de pèlerinage du monde gitan, dans le sud de la France, Manitas de Plata pourrait avoir sa statue aux côtés de celle, déjà présente, de Crin-Blanc. Si le cheval qui a donné son nom à un célèbre film de 1953 est devenu un des symboles de la Camargue, le guitariste a multiplié les tournées dans le monde entier en faisant connaître sa communauté. Et avec ce même refus de se laisser dompter, ce goût pour la liberté...

Celui que l'écrivain américain John Steinbeck décrivait comme un “grand artiste sauvage” expliquait aussi qu'il ne préparait pas ses récitals, laissant ainsi une très grande part à l’improvisation, jouant à l'instinct. Longtemps, alors qu'on ne cesse de l'encenser pour ses prestations, il refuse d'enregistrer, par crainte d’être trompé. Ce n'est qu'à 42 ans, en 1963, qu'il finit par accepter. Dans une chapelle moyenâgeuse puis un hôtel situés en Arles, avec ses chanteurs José Reyes (son cousin) et Manero Baliardo (son fils aîné), il joue – entre autres – les huit morceaux qui figurent sur Juerga !
 
Deux ans plus tard, il enchaine les concerts au Carnegie Hall à New York et dans le reste des Etats-Unis, y compris à l'ONU où il représente l'Europe lors d'une cérémonie sur les droits de l'homme. Il est le “deuxième gitan, après le grand Django (Reinhardt, NDR), à acquérir la célébrité grâce à sa guitare”, lit-on au verso d'un de ses disques sortis en 1966. Le succès est tel qu'une maison de disques peu scrupuleuse commercialise des enregistrements sans l'accord de l'intéressé. L'affaire ira jusqu'en cassation et la décision de 1970 appelée “arrêt Manitas” lui donne définitivement raison en faisant avancer la question des droits d'auteur s'inspirant d'airs traditionnels.
 
Autodidacte
C'est sur cette période très riche, dense, intense, que revient Gipsy Legend, hommage au musicien prolifique né dans une roulotte, à Sète, et qui s'est éteint à 93 ans en novembre 2014. Le coffret réunit neuf albums parus entre 1963 et 1969, reproduits comme de véritables miniatures des 33 tours originaux, chaque CD étant glissé dans une pochette à l'identique de celle du vinyle correspondant. Soit au total une soixantaine de morceaux, qui n'obéissent évidemment à aucun format conventionnel, à l'exemple de cette version de Moritas Moras de plus de 19 minutes...
 
L'autodidacte aux “petites mains d'argent”, dont la première guitare avait été achetée par son père après avoir vendu l'âne qui tirait la roulotte, a un jeu dont la fluidité stupéfait, fascine. Son répertoire s'inspire de la rumba catalane et du flamenco, les parties appelées “falseta” étant particulièrement développées, explique le documentaire réalisé en 2003 par Christian Passuello et intitulé Manitas de Plata, la légende. Les Espagnols Salvador Dali et Pablo Picasso comptent parmi ses fervents admirateurs, touchés par le talent et la personnalité de cet homme resté gitan jusqu'au plus profond de lui-même dans sa façon de vivre.
 
Manitas de Plata, The Gipsy Legend (Barclay) 2015