Pas sûr que La Langue de la bestiole change grand-chose au statut de Papillon Paravel : celui d’un autoproclamé "chanteur mal entendu", qui poursuit son chemin de voix dans une relative indifférence médiatique. Dommage, car le bonhomme construit depuis maintenant 5 albums, un univers à nul autre pareil. A la fois planant et féroce, tire larmes et rentre-dedans. Où le parler-chanter d’avant le slam répond aux écrins soniques les plus soignés. Un univers qui a notamment séduit Charlélie Couture, qui signe ici un texte. Rencontre avec un chanteur au flow calme.
RFI Musique : La couverture de cet album annonce, à la manière d’une BD, "La nouvelle aventure de Papillon Paravel". Quid du résumé des épisodes précédents ?! Renaud Papillon Paravel : Ça commence par La surface de réparation un premier disque démarré en autoproduit, avant de ressortir chez une grosse maison de disque [BMG, ndlr]. Ont suivi deux autres dans le circuit classique. Mais à partir du quatrième, je suis passé de moi-même en autoproduction. En fait, j’ai voulu quitter ce système où l’on est dans l’attente de gens...dont on ne sait pas ce qu’ils font vraiment. Je voulais pouvoir me dire : c’est moi qui conduis la locomotive ! Et ne plus avoir l’impression d’être dans un wagon qui n’avance pas, simplement parce que personne ne rajoute du charbon ! Moi, je voulais voir la route défiler. Alors aujourd’hui, peut-être qu’on ne va pas vite, mais on avance.
Vous avancez avec une tonalité nettement plus rock que sur les précédentes sorties, qui pour faire court, naviguaient en eaux trip hop…
Est-ce que c’est plus rock, ou bien juste plus noir ? Disons que c’est de la poésie énervée. C’est le résultat d’un échange avec le groupe, qui de son côté vient d’univers nettement plus violents, du métal etc. Mais c’est un terrain de jeu qui me plait : pour résumer, ils sont au frein, et moi à l’accélérateur !
L’autre changement de paysage concerne l’industrie du disque : vos premiers albums sont parus au début des années 2000. Depuis, la crise du secteur a largement réduit le champ des possibles pour les artistes atypiques …
C’est vrai que quand j’explique qu’en 2001, j’ai signé un contrat de licence avec 60.000 € d’avance, ça semble complètement hallucinant aujourd’hui ! En même temps, ce monde-là a complètement évolué. Les ressources pour vivre de la musique sont complètement différentes. Il n’y a pratiquement plus qu’un seul point de péage réel entre l’artiste et le public : l’entrée du concert.
Vos textes sont souvent sombres. Où placez-vous la frontière entre acide et amer ?
A l’endroit précis qui sépare la grossièreté de la vulgarité. C’est avoir conscience du peu que l’on a –ou du peu que l’on est. Il ne s’agit pas de se flageller, mais de parvenir à dire tout le mal qu’on pense de soi. Et de la même manière, dire ce qu’on pense des autres, sans aucune censure. Chose que j’ai notamment faite par le passé dans un morceau qui s’appelle Le chanteur bien cuit. Une chanson en forme de balle dans le pied, qui m’a d’ailleurs fait un mal fou [Obispo, Goldman, Pagny, Hallyday et d'autres y étaient directement visés, ndlr]
Cela dit, je ne la regrette absolument pas. Et puis, Jean-Jacques Goldman est venu me dire bonjour quand j’ai fait la première partie de Zazie à Marseille ! En même temps, peut-être qu’il ne la connaissait pas, ou qu’il ne m’a pas reconnu !
On retrouve cette même férocité en 2015, sur le titre La Même…
C’est un petit coup de caméra à 360° sur ce qui nous entoure. Mais je me vois dans le même bateau que tout le monde. Je suis juste là pour aller derrière la ligne rouge, ramasser les pires trucs trouvés après la tempête, les poser sur la table et en faire une histoire…
Les voix féminines sont très présentes sur La Langue de la bestiole. En l’occurrence Maureen Angot ou Amandine Bourgeois, deux chanteuses issues de la télé réalité. Ironique, pour quelqu’un qui vomit ce système ?
J’assume totalement. Je connaissais Maureen pour ce qu’elle faisait avant qu’elle ne passe à la Star Academy. Même chose pour Amandine, qui est Toulousaine. Je persiste à croire que ce système qui mise avant tout sur l’image broie plus de gens qu’il n’en fait entrer dans la lumière. Ça ne change pas mon avis sur l’"avariété" en tous cas !
Vous êtes effectivement d’origine toulousaine. Pour reprendre une métaphore rugbystique chère à la Ville Rose, transformer l’essai n’est pas -semble-t-il- votre obsession première…
Ça l’a été. Un temps, j’ai voulu à tout prix que ma musique soit entendue. Ça m’a fait beaucoup de mal. Ça ne peut plus m’en faire aujourd’hui. Je me suis construit une carapace. Ce qui me fait raller, ce sont les gens qui me disent : "comment se fait-il que je ne t’avais jamais entendu avant ?" Peut-être que je ne suis pas arrivé à la bonne période, que ma proposition n’était pas adaptée à la demande ? Ça ne m’encombre plus trop l’esprit. Je fais des choses. Qui donnent du plaisir à d’autres. Je me nourris de ça, à défaut d’argent et de salles copieusement remplies.