Chris Combette, l’artisan musicien

Chris Combette, l’artisan musicien
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S’il véhicule avec lui l’image de la Guyane, de finale française de l’Eurovision en concours ultramarins, Chris Combette fait la part belle aux musiques brésiliennes dans son nouvel album intitulé Les Enfants de Gorée. Rencontre avec un chanteur qui sait déceler le chant des sirènes et entend bien ne pas y céder.

RFI Musique : Les Enfants de Gorée est votre quatrième album en dix-sept ans, ce qui est peu au regard des pratiques habituelles. Cela reflète-t-il votre approche de la musique ? Je ne sais pas ce que c’est qu'un plan de carrière. Je suis un artisan de la musique : je la construis, je la monte et je vais la jouer sur scène. Comme je suis un peu scientifique, je mets du temps à écrire les textes pour que ça ait du sens. Je déchire beaucoup de papier. Avec le temps, l’album est devenu un moyen d’avoir de l’actualité. Une justification. C’est terrible. Mais avec les moyens de production qui se sont vulgarisés, c’est une contrainte qui va disparaître petit à petit.

Votre façon de faire vos albums a-t-elle évolué aussi au fil des années ? Au tout début, je programmais beaucoup chez moi avec des synthés. Depuis une dizaine d’années, je suis complètement revenu à la formule guitare et voix. Et tant que la chanson ne tourne pas sous cette forme, ce n’est pas la peine de se pencher sur un ordinateur. La sortie de cet album a été ralentie parce qu’il a été surproduit plusieurs fois. Il y a de l’argent qui s’est perdu mais j’insistais pour faire quelque chose de dépouillé, contrairement à ce que les producteurs me conseillaient. Je veux bien "faire un carton", mais si je n’ai pas envie d’acheter mon propre disque…
 
Le disque ressemble-t-il à ce que vous aviez imaginé au départ ?
Initialement, je voulais un album en live, voix et guitare. Mais ça coûtait trop cher parce que je voulais prendre les meilleurs moments sur une tournée. Ensuite, je souhaitais partir à Madagascar pour mettre de la valiha, cet instrument circulaire avec les cordes autour. Je voulais du balafon aussi, l’enregistrer en Afrique. Mais il y avait des problèmes de budget. Au final, il y a de la guitare, des percus, de la basse, et de temps en temps un saxophone, de la flûte, un violoncelle, avec la voix bien en avant. C’est mon album préféré sur les quatre ! J’ai voulu faire ce que je fais en solo : commencer une chanson en zouk et puis faire un détour vers la bossa nova, la samba, le reggae pour revenir dans le zouk. La structure est un peu figée mais je peux faire revenir le refrain ou un couplet, et surtout il y a les parties où j’improvise autant que je peux des scats jazzy. Je ne suis pas un jazzman mais c’est vraiment la musique qui me touche le plus.
 
Qu’y trouvez-vous en particulier ?
L’idée qu’un bonhomme avec son instrument puisse, en temps réel, envoyer ce qu’il y a dans son cerveau sur ses doigts. Le jazz est vraiment une façon de respirer. Une non-construction dans une structure construite. N’est pas jazzman qui veut. Ça demande énormément de travail. Ce qui me plaît, c’est au moment de l’improvisation, ne pas savoir où l’on va. Comme si on ferme les yeux et on laisse son esprit partir. Plus j’avance en âge, plus j’aime le jazz. Avant, il me parlait, je ressentais le rythme, mais là, je suis comme un des musiciens sur scène : je comprends pourquoi le bassiste joue comme ci, pourquoi il fait ça. Ça demande un peu de "bouteille".
 
Quel est le premier style musical dans lequel vous avez plongé ?
La bossa nova, la samba. C’est la musique du Brésil qui m’a procuré le plus de frissons. Elle m’a transportée. Quand j’étais adolescent, en Martinique, j’en ai écouté jusqu’à plus soif. Ces rythmes, je leur trouvais un génie particulier. Donc dans ma musique, il y en a tout le temps.
Votre nouvel album Les Enfants de Gorée n’est-il pas inspiré par les voyages ?
Le voyage est une chance inouïe. J’aime les aéroports. Je peux y passer trois heures. J’aime cet endroit, ce moment où on est juste là, à attendre. Dans l’idée des textes, il y a un peu de Centrafrique, d’Afrique du Sud –que je n’ai pas visité mais que Madiba* m’a fait visiter. Et puis, il y a Tana, la capitale de Madagascar, ce pays qui m’a bouleversé. Il y un avant et un après Tana.

En quoi cela vous a-t-il changé ?
J’ai pu mettre des mots sur ce qu’est la grâce. Ce pays m’a touché. Deux jours avant, j’étais à Dallas. C’était l’antithèse : la propreté à l’excès, un monde clos, une ville où l’argent débordait des bouches. Presque écœurant.

Est-ce sur place que vous avez fait la chanson Tana qui figure dans l’album ?
La musique était écrite. J’avais fait plusieurs tentatives de textes, et en revenant de Madagascar, j’ai commencé à mettre des paroles. C’était comme si cette mélodie attendait ce texte.
 
*surnom de Nelson Mandela
 
Chris Combette Enfants de Gorée (Transportation/ Mosaïc music) 2011