Festival Igloofest à Montréal
Musique électronique, vieux quais et température sous le zéro. Le festival Igloofest qui a eu lieu du 12 au 28 janvier dernier, propose un cocktail qui ne semble pas attirant et pourtant, un cocktail qui détonne de plus en plus. Chaque année, depuis 2007, des milliers de personnes viennent danser en plein hiver et en plein air pendant quelques soirées dans le cadre idyllique du vieux port de Montréal.
Entre Toronto et Miami, escale à Montréal pour le DJ français Sébastien Léger. Sur la scène, il s’approche des platines, vêtu d’un épais manteau noir qu’il enlève dès les premiers mix. Devant lui, des milliers de personnes se défoulent sur sa musique, qu’il mixe par moins 20 degrés. Sa scène est un peu chauffée, pas la piste de danse. Devant lui, des milliers de bonnets et gants multicolores s’agitent. "Les jeux de lumière, le froid, c’est magique", décrit-il avant de se lancer pour 2h30 de show.
Le froid n’a pas fait peur aux 10.000 personnes qui sont venues, ce soir du 21 janvier, dans cet aménagement arctique : quatre bars de glace, des jeux interactifs permettant d’illuminer des blocs de glace, des sculptures de glace et bien sûr, la neige qui tombe ou la neige sous les pieds. Le tout au milieu de beaux jeux de lumière et de brazzeros qui permettent de se réchauffer ou de faire fondre des guimauves.
A la base, un constat et une idée un peu folle. "Les gens se plaignent trop souvent que l’hiver, c’est plat, qu’il fait trop froid, que c’est moche alors que si on s’habille comme il faut, on n’a pas froid. On voulait retrouver notre cœur d’enfant, lorsque la première neige de l’année arrivait et qu’on jouait pendant des heures dehors", explique Nicolas Cournoyer, directeur général d’Igloofest et un des quatre fondateurs. Avec son équipe, chaque été, il propose des "piknik" électroniques sur une île la journée en plein air. "On s’est dit qu’on allait faire le piknik en hiver, inviter les gens à danser par moins 20. De prime abord, c’était une blague, puis on s’est dit pourquoi pas ?", poursuit-il dans sa duveteuse combinaison intégrale.
Happening musical dans l'hiver québécois
Défi réussi. En 2007, 4000 personnes se sont déplacées sur deux soirées. Cette année, ils étaient plus de 70.000 répartis sur neuf soirées. Pour le journal québécois La Presse, l’événement est "devenu le plus grand happening musical de l’hiver montréalais". C’est dire s’il était attendu !
"L’hiver, c’est une saison de bars et de restaurants, qui sont pleins, comparés à l’été. Il était temps qu’on sorte dehors et qu’on accepte cette saison, qu’on s’adapte", racontent David Lafrance et Jean-François Lauda, alias Leboeuf et Laviolette, un duo exploratoire qui fait de la production de pièces électro. Habitués aux galeries, bars et évènements plus underground, ils se produisent dans une structure en forme d’igloo, site dédié à la relève. "On a un public de 150 personnes, c’est très compact. On n’est pas encore au stade de jouer devant 8000 personnes (sur la grande scène), on est un jeune duo mais c’est un bon test". Devant eux, plusieurs amateurs dodelinent de la tête, les yeux fermés.
Un peu plus loin, alors que la vapeur émane des corps gesticulants sur la grande piste, créant une scène assez irréaliste, Hugo, Raymond et Marie-Sarah viennent se réchauffer autour d’un feu. Hugo, qui vit au Québec depuis 15 ans, n’est pas un fin connaisseur de musique électronique mais il sait que ce sont de grosses pointures qui passent au festival : le tandem allemand Marcel Dettmanner et Ben Klock, la jeune sensation britannique Maya Jane Coles, l’excellente formation portugaise BurakaSomSistema (qui fait un mélange de kuduro, d’électro et de breakbeat) ou encore Diplo, sans oublier les vedettes canadiennes : A-Track (qui a tourné avec Kanye West), Tiga…
Selon les organisateurs d’Igloofest, une personne sur deux n’est pas amateur de musique électronique, à l’image de Céline, une française qui n'entendait "que des commentaires positifs" et avait "hâte de voir à quoi ça ressemblait". Elle a donc enfilé son pantalon de ski, sa doudoune, ses grosses bottes de neige et elle est venue avec quatre amis. "Il faut le faire une fois !", s’enthousiasme-t-elle. "C’est un peu comme un village de vacances au ski, et l’ambiance est super. Le décor en jette aussi. Je suis venue car c’est particulier mais je n’aurai pas payé une place pour voir ces artistes dans une salle !"
Ambiance bon enfant
Cette ambiance permet aux organisateurs de convaincre les DJs du monde entier. Cette année, ils étaient plus de trente-cinq. "Ça frappe l’imaginaire", poursuit Nicolas Cournoyer. "Les premières années, les artistes se posaient des questions, cela suscitait leur curiosité. Beaucoup d’artistes français ou anglais ne comprennent pas et se disent : ils sont fous ces Québécois, il fait moins 25 et il y a plus de cinq mille personnes qui sont sur un plancher de danse complètement déchaînés. La clé du succès est d’envoyer une vidéo de l’année précédente pour montrer ce qu’est Igloofest. Et puis les artistes repartent et sont dithyrambiques", précise-t-il même s’il avoue qu’ils ont déjà eu quelques refus.
Igloofest, c’est aussi une ambiance bon enfant. "Il y a un côté égalitaire, tout le monde porte des bottes et des tuques (bonnets)", dit Michel Quintal, un autre organisateur. Pas besoin de se maquiller, de chercher à porter des habits qui te mettent en valeur. Plus tu es rétro, mieux c’est ! Un concours de combinaisons de ski, les "one piece", a lieu chaque semaine et des personnes toutes plus colorées les unes que les autres se bousculent pour se prendre en photo. "C’est grand public, cela décloisonne les gens, les styles, les âges. Ça vient homogénéiser les rapports sociaux", renchérit Nicolas Cournoyer.
Certains n’hésitent pas à prendre des vacances au Canada lors de l’Igloofest pour participer à cet événement branché. Le défi pour l’an prochain ? Certainement la taille du site. Toutes les places étaient parties en prévente samedi 21. Difficile de laisser des centaines de personnes, espérant trouver une place, faire la file pendant des heures dans le froid. Difficile aussi d’agrandir les quais du vieux port. La rançon du succès.