Les fiertés de Mamani Keita

Les fiertés de Mamani Keita
© emma pick

Sur son troisième album solo, Gagner l’argent français, Mamani Keita poursuit sa collaboration avec son complice, le multi-instrumentiste et arrangeur Nicolas Repac, initiée sur le précédent opus. L’occasion de revenir sur le parcours riche en déboires et victoires de la chanteuse malienne, au gré duquel elle définit ce qui la comble de fierté.

Un matin d’il y a sept ans, dont elle se souvient comme si c’était hier : Mamani Keita n’a pas deux euros en poche pour acheter le goûter de sa fille. Requête auprès d’un voisin, d’une copine... Nul ne possède la somme modique ! Allocataire du RMI, en période de vaches maigres entre deux disques, la chanteuse malienne dresse cet amer constat : "Mamani, tu es foutue! Et la société française aussi."

Seule sur le chemin du retour, apparaît le chant, qui l’a toujours sauvée des noirceurs de la vie. Dans sa tête, dans l’air, tournent en boucle une mélodie et ces paroles simples : "Pas facile, gagner l’argent français, bosser, bosser, il fait froid, y’a de la neige et le vent, bosser, bosser !" Ce refrain la hante durant la tournée de Yelema. En off, elle l’interprète avec son guitariste Djeli Moussa Kouyaté, la fait mûrir, jusqu’à en faire le titre de son troisième album solo.

Derrière les seuls déboires financiers, c’est alors toute la vie de Mamani qui se dessine, un parcours du combattant en bosses et creux depuis son arrivée à Paris en 1987, en tant que choriste de Salif Keita. Dès ses premières foulées des trottoirs de la capitale, la jeune femme de 22 ans s’étonne de ces portes qui se ferment sur les habitats privés, jure de ne jamais mettre un jean et de repartir au pays le plus vite possible...

Un quart de siècle plus tard, l’artiste réside toujours en France, et ne met plus que des pantalons : un destin commun à presque tous les immigrés, que lui avait prédit ses proches. Depuis 24 ans, Mamani a connu les affres de la régularisation, celles de la pauvreté et de la galère : "En Afrique, on rêve toujours de venir en Europe. Dès qu’on voit Paris à la télé, ça devient notre obsession... Pourtant, quand tu débarques ici, avec les changements de condition de vie et la solitude, vient le désespoir. Si tu ne fais pas attention, tu peux péter les plombs..."

Dialogues 

Mais Mamani a de quoi tenir. Sa fille, d’abord, née en 1997. La musique, ensuite, qui se construit au gré de petites victoires et de grands affranchissements... Peu après la fin de son contrat avec Salif Keita, elle désire explorer ses propres voies. Ce sera Electro Bamako sorti en 2002 chez Universal, qui mêle superbement sa voix claire et haut perchée, son chant en bambara, aux boucles électro du DJ et producteur Marc Minelli.
Puis il y aura Yelema (2006) sur le label No Format, un disque doux, aux belles subtilités rock et électro, tissées avec l’arrangeur et multi-instrumentiste Nicolas Repac. Sur Gagner l’argent français, son dernier disque,Mamani poursuit cette collaboration. "Entre lui et moi, cela fonctionne parce qu’on se respecte et qu’on se comprend d’un point de vue humain. Si quelque chose nous dérange, on se le dit sans fard", raconte-t-elle.

Peut-être la raison pour laquelle la tradition mandingue s’arrange aussi bien de la poésie sonore et hybride de celui que l’on surnomme le "sorcier blanc". "C’est la qualité de Mamani autant que celle de Nicolas, d’écouter et de partager", explique la chanteuse. De son côté, elle compose paroles et musiques avec Djeli Moussa, puis soumet le tout à son mentor au Mali, son maître à chansons depuis l’enfance, Mohamed Sissoko. Tous les jours, elle l’appelle. Après, seulement, elle confie ses réalisations à Nicolas, avec carte blanche pour l’arrangement et l’instrumentation. Si un son ne lui plaît pas, attention ! Mamani s’oppose. Mais pas vigoureusement : le dialogue reste toujours le maître-mot.

La voix haute
En résulte alors un disque foisonnant, où se croisent à l’envi les rythmes binaires du rock, le groove chaleureux du dub, les virulences de l’afro-beat, un album où les instruments traditionnels mandingues – ngoni, kora – dialoguent avec des samples, une clarinette klezmer, un luth chinois, des cordes classiques...
Mamani y chante les injustices politiques, la jalousie, mais surtout, elle taille la part belle à l’amour, comme lorsqu’elle s’inspire de Dalida ("J’attendrai..."). Et l’artiste de sourire au diapason de ses immenses boucles d’oreille dorées, et d’affirmer sa fierté pour le chemin parcouru, cette voix qui s’affirme au fil des disques : "Dès que je chante, je me sens digne, et sur scène, je charme l’auditoire. J’essaie d’ensorceler le public, de l’attirer vers mes propres territoires".

Pour Mamani, rayonnante, la confrontation avec d’autres horizons a donc permis d’affirmer au plus proche sa personnalité et ses racines : "J’ai toujours dit ce que je souhaitais dire. Mais j’affine mon propos. Je peux même clamer que j’ai gagné, parce que je ne savais pas que j’allais arriver jusque-là, avec cette vie d’aventurière. Alors bien sûr, je suis fière de parler la voix haute, et d’envoyer des messages en chantant, des messages qui peuvent rendre les gens heureux".

Mamani Keita Gagner l’argent français (No Format) 2011
En concert le 10 Juin à La Maroquinerie à Paris

Site de Mamani Keita