Le Sénégal, influences transatlantiques
Dakar, voisine de La Havane et de New York ? Alors que le Sénégal s’apprête à célébrer son indépendance en 1960, ses musiciens s’émancipent de la culture française en s’appropriant jazz et salsa qui ont traversé l’Atlantique d’Ouest en Est à des moments bien spécifiques de l’histoire.
Comme en de nombreux autres endroits du continent africain, les 78 tours de la fameuse série GV, parus entre 1933 et 1958, ont eu au Sénégal un impact déterminant sur l’orientation et le développement de la scène musicale. Lancés par His Master’s Voice (La voix de son maître), label britannique au logo reconnaissable, ces 250 enregistrements pressés à bas coûts étaient destinés au marché africain afin de susciter une demande locale et donc de créer de nouveaux débouchés pour l’industrie du disque.
Sur ce catalogue, la grande majorité des titres appartenaient au répertoire cubain alors très en vogue à New York. Le succès que rencontrèrent ces disques estampillés GV dépassa tous les espoirs : certains morceaux, comme El Manisero, sont devenus de véritables classiques, de Dar Es-Salaam à Dakar en passant par Léopoldville.
La musique, tout à coup, rappelaient qu’entre des peuples séparés par l’histoire au moment de la traite négrière, des liens insoupçonnés de parenté culturelle avaient tout de même résisté à l’épreuve du temps. Ce sentiment, partagé par toute une partie de l’Afrique, a contribué à la naissance de la rumba congolaise et explique les fondements de la popularité qu’elle a aussitôt rencontrée à l’échelle du continent.
Au Sénégal, d’autres facteurs ont conduit à une évolution différente de la musique afro-cubaine. La présence de soldats américains pendant la Seconde Guerre mondiale, à partir de 1942, stationnés à la fois à Dakar, Thiès et Saint-Louis, a ouvert de nouveaux horizons.
Diffusé par la radio Voice of America, le jazz a été adopté par de multiples formations qui se créent dans les années 50 : le Sor Jazz, le Saint-Louisien Jazz, l’Amicale Jazz… Les premiers orchestres professionnels, propriétaires de leurs propres instruments, apparaissent.
Le phénomène est d’abord urbain et ne reste cantonné qu’à quelques villes, mais le paysage musical jusqu’alors essentiellement composé par les orchestres officiels, tel que celui de La Lyre africaine à Dakar, s’enrichit indéniablement.
Monté en 1951 par le saxophoniste Oumar Ndiaye, le groupe Les Déménageurs innove en traversant les frontières pour effectuer une longue tournée panafricaine avec son vaste répertoire qui inclut jazz, tango, highlife ghanéen… En Casamance, l’Ucas jazz de Sedhiou fondé en 1959 et toujours en activité servira à de nombreux musiciens qui y feront leurs classes.
Le rapprochement opéré avec la culture américaine en cette période de pré-indépendance, qui est aussi une façon de se détacher de l’influence de la France, permet l’arrivée de la salsa sur le continent. C’est en effet à New York que la musique cubaine prend cette nouvelle forme.
De l’autre côté de l’Atlantique, bien que les chanteurs reproduisent souvent de façon phonétique les textes en espagnol, l’engouement dépasse le simple phénomène de mode importé. Le souvenir de cette époque reste encore aujourd’hui très présent, que ce soit à travers l’existence du groupe Africando dédié à la salsa, l’enregistrement il y a quelques années du projet Los afro-salseros de senegal en la habana, le documentaire Sénégal Salsa de Moustapha Ndoye…
Star Band & co