Musiques Métisses 2013
Pour sa 38e édition, le festival angoumoisin Musiques Métisses a tenu ses promesses : de belles aventures musicales, des rythmes, des sons, des chansons, et des histoires tous azimuts. Reportage.
Entre les gouttes… telle se sera déroulée la 38e édition de Musiques Métisses, grand-messe de sons planétaires, sur l’île de Bourgines, à Angoulême : malgré le ciel bas, lorgné avec inquiétude, les dieux du climat, instamment suppliés, épargneront – globalement – les festivités, cette année toutes de plein air. Le soleil s’est, une fois encore, invité ailleurs : dans les musiques arc-en-ciel, dans les pulsations de milliers de tambours, qui ont réchauffé les âmes et délié les hanches.
Un duo torride
Pour inaugurer l’aventure, un duo de vieux routards, huit ou neuf éditions de Musiques Métisses au compteur, le multi-instrumentiste malgache Tao Ravao et l’harmoniciste Vincent Bucher, complices de longue date, ont ouvert la route du blues, impertinente, audacieuse, torride et sans ornière. Dans les scansions des guitares, du banjo, de la valiha, dans le mugissement sauvage ou les mélopées de l’harmonica, s’invitent les esprits punks, rock, sensibles et aventureux. Il est de ces habitués que l’on redécouvre à chaque fois avec bonheur, comme ce duo tellurique et bouillonnant.
Sur la même petite scène Mandingue, un enfant terrible de 40 ans, sourire ravageur, prend le relais. Il s’agit du Malien Pedro Kouyaté, déjà remarqué aux côtés de Toumani Diabaté, Boubacar Traoré ou Archie Shepp. A la musique de la confrérie des chasseurs mandingues, il adjoint du free jazz, du rock... Un cocktail impromptu et personnel, auquel se greffent humour, spiritualité et ferveur. Le cœur de l’artiste, pourtant, saigne : "Au Mali, nous sommes tous frères. Il faut que cessent les dissensions."
Le deuxième jour, la scène Mandingue, verra le blues-folk de dentelle d’un guitariste aux doits de fée : le Malgache Téta, immense de perfection, de sensibilité et de maîtrise. Tout en douceur, il tisse les chants de sa tradition, mêlés d’affluents jazz, soul.
Et puis, pour exorciser les peines, calmer les colères, il suffit parfois d’une fanfare : c’est le pari de la formation béninoise Eyo’nlé ("Réjouissons-nous" en Yoruba), qui, sur des rythmes vaudou, laisse s’envoler un groove cuivré parfaitement millimétré. Ca pète, ça rutile, ça swingue ! Les riffs joyeux, aux accents familiaux, se poursuivent chez Kalimba, la réunion des élèves du conservatoire d’Angoulême, emmené par Emile Biayenda : sous la houlette du multi-instrumentiste Issa Dakuyo, ils voyagent vers des contrées mandingue multicolores et chaloupées.
Sur la Grande Scène, la transe vibrante et belle de Bassekou Kouyaté & N’Goni Ba sonne comme un appel d’espoir pour son pays, le Mali.
L’esprit Massamba
En première partie, un autre habitué du festival a galvanisé le public de la Grande Scène : en version solo, Fredy Massamba a grandi. Mûri. A l’aise, il pose son flow, danse et surfe sur le beat, joue avec ce public "VIP" des jours de pluie. Depuis la sortie de son premier album solo, Ethnophonie, en 2011, ce brillant sideman, remarqué aux côtés de Didier Awadi, des Tambours de Braza ou de Zap Mama, a développé son aura, creusé le sillon qui fait sa griffe, le côté ethnique, traditionnel, et le gros son, pour une Afrique aux couleurs new soul.
A son univers, se mêle désormais une dimension supplémentaire, portée par le seben, cette guitare congolaise, qui fit se déhancher tout un peuple au swing irrésistible de la rumba… Un instrument qui porte la signature de son prochain album, Makasi, à paraître à l’automne. En lingala, "makasi" signifie "la force", mais comme le précise Fredy : "Une force tranquille, souterraine, ancestrale, la force de la nouvelle génération consciente, celle du léopard, l’emblème de mon pays, le Congo…"
Sur ses rythmiques alanguies, mais toniques, sous sa douceur parée d’énergie, Massamba gronde, s’insurge : inlassablement, ses textes dénoncent des agissements intolérables, passés dans les mœurs et sous silence, les ravages du sida, la corruption… Il chante aussi sa fierté de l’Afrique, ses vœux d’unité, avec Unity, sur lequel pose le rappeur Tumi Molekane.
Sans aucun doute, Fredy confirme et conforte son talent. Sûrement parce qu’il prend son temps, toute sensibilité aux aguets : "J’avance à mon tempo. J’essaie de ne pas courir, de comprendre où je me dirige. Même si le monde va trop vite, il faut garder l’œil ouvert, une vision extérieure pour conserver, dans ce monde, sa juste place : musicalement, politiquement, historiquement, culturellement… Où se situe-t-on, ma musique et moi ? La question à laquelle j’essaie de répondre à chaque note…"
La carrière solo de Fredy fut lancée sur une rencontre : celle du producteur suisse Fred Hirschy. Tant mieux : "Je n’avais pas calculé ce disque. Il est sorti comme ça. Un miracle à mes yeux. Je ne savais pas ce que j’avais en moi. Mais quelqu’un m’a secoué et fait sortir les énergies". Le flow Massamba n’est pas prêt de tarir. Vite, le deuxième opus !
Alpha number one, Jupiter maître de l’Univers !
La troisième journée fut marquée par la présence d’un mythe, d’un mastodonte de la sono mondiale : le héros du reggae ivoirien Alpha Blondy, créateur tout-puissant de Brigadier Sabari et Jerusalem. Le public en liesse, secoué par les vibes, fut parcouru d’émotion. Sur la même scène, en première partie, c’était le Maloya Power, la machine à groove irrésistible de la bande Lindigo. Toujours magique, leur transe a réveillé les esprits !
Sur la scène Mandingue, la fratrie Takeifa, quatre frères et une sœur, ont offert du Sénégal, l’image d’un pays moderne : cinq jeunes gens aux allures funky, aux chorégraphies rôdées qui délivrent du gros son, balancent du zouk, du hip hop, de la pop, du samba, du reggae… sur fond de musique africaine. Leur dernier album Get Free (2012), hommage à la liberté, illustre bien leur désir de "kiffer la vibe", de donner de la jeunesse africaine, sans engagement revendicatif, une vision positive.
Et puis a suivi une bombe, LA bombe. "Au Congo, on obéissait à nos aînés, mais ça ne servait à rien. Du coup, on n’obéit plus à personne". D’emblée, Jupiter, capitaine rebelle des Okwess donne le ton. "De la misère, naît l’énergie !", poursuit-il. C’est du punk, de la transe, de gros beats bien lourds, du chamanisme : sur fond de musique congolaise, Jupiter envoûte, entraîne les corps, abasourdis.
Le périple s’achève avec l’ivresse de la rumba congolaise de Black Bazar. Sous les étoiles, exactement, la fête bat son plein, au fil de formidables sessions de "booty shakes".
Pour sa 38e année, Musiques Métisses aura tenu, une fois encore, la promesse de tous ses voyages… Big Up !
Site officiel du festival Musiques Métisses