Africolor, voyage au bout de la fièvre

Africolor, voyage au bout de la fièvre
Chérif Soumano, Jeanne Balibar et David Neerman © A.L. Lemancel

Samedi 15 novembre, l’ouverture du festival Africolor accueillait, à Pantin, une création inédite : la mise en scène du carnet de bord web déjanté du vibraphoniste David Neerman, lors de sa tournée de deux mois en Afrique, en 2013. Pour incarner ses mots, la comédienne Jeanne Balibar, accompagnée des sonorités feutrées du vibraphone acoustique, mêlées à la kora de Chérif Soumano, s’est portée volontaire. Ce spectacle inaugural, aux allures de trip sacré, reflète aussi les ambitions du festival, depuis sa création, il y a 25 ans : laisser entendre toutes les Afriques. Reportage.

Une scène noire. Dans un halo de projecteur, soudain, elle apparaît, longue et familière silhouette, campée dans sa présence, drapée de magnétisme. Sa voix, sa signature, fend ce silence inaugural, qui pare la Salle Jacques-Brel, de Pantin. Sur l’introduction, ses mots se posent, lourds, charnels, plein d’un humour délié, en clair-obscur : "Ok, j’ai décidé de te raconter en long, en large, et en traviole, mes pérégrinations africaines. Ce sera rempli de moimoïsmes, d’incohérences, et d’arrogance, étant Parisien, du 19e arrondissement, qui plus est (…)".

Jeanne Balibar porte ainsi, sur scène, pour l’ouverture d’Africolor, les premiers mots du truculent Yellow Fever Tour, carnet de bord hallucinatoire, déglingué, et génial, tenu par le vibraphoniste, David Neerman, lors de sa tournée africaine de deux mois –25 concerts, 21 pays, 36 vols… –avec son comparse Lansiné Kouyaté.
Un texte zinzin, à toutes berzingues

Flashback. Entre septembre et décembre 2013, les internautes découvrent, hilares, suspendus aux lignes voltigeuses de Neerman, ces aventures addictives, à Haute Qualité Littéraire, de pieds nickelés à travers une Afrique moderne et contrastée, ces chemins de traverse chaotiques, à toutes berzingues, ces itinéraires bizarroïdes, jusqu’aux confins de l’absurde, cette vision juste, drôle, tendre, forcément décalée, d’un Parigot débarqué.
 
Bref ! Une épopée qui tient autant du journalisme Gonzo, que de "Zinzin au Congo". Parmi les lecteurs, Sébastien Lagrave, directeur d’Africolor, se pique de passion, pour cette prose, "aussi vrillée que les boucles martiennes de David au vibraphone" : "Il fallait donner vie et musique, sur scène, à ce texte". L’instrumentiste évoque ce projet avec une amie, Jeanne Balibar : elle VEUT incarner le récit.
A la lumière de Jeanne

Et la voici donc, sur la scène de la Salle Jacques-Brel, à porter, plein souffle, des morceaux du récit, ces explorations aussi ubuesques que réalistes, d’Antananarivo à Pretoria, de Nairobi à Johannesburg, de Brazzaville à Kinshasa : elle fait vivre le sexe, les virus, les anecdotes rocambolesques, incarne les personnages – Raging Rajon, Sa Majesté, Salongo Entonnoir – donne une nouvelle fraîcheur, une lumière inédite à la création, gorgée de rock’n’roll, de Neerman.
 
Parfois, aussi, elle chante, singe la "danse des parapluies", déclenche des éclats de rire. Entre les chapitres, le vibraphoniste Neerman et le koriste Chérif Soumano, improvisent de doux paysages acoustiques, tissent la toile de fond à l’aventure, forgent un écrin au texte, et à sa porte-parole.
Vite, le récit prend des allures de contes de griot moderne, aux effluves fantasmatiques : une saga aventureuse, loin des traditions, riche d’enseignements. Certains spectateurs, connaisseurs de l’Afrique, ou amoureux du texte, se régalent de la création, rient et se réjouissent à chaque échappée belle, hors des convenances. D’autres se déclarent plus déroutés, par un spectacle atypique, tout en mots et musiques retenues, autour d’une certaine vision du continent.
 
Cette ouverture d’Africolor était un pari, une audace, une gageure. Forcément gagnée puisqu’elle ouvre de nouvelles perspectives, et dresse un portrait bigarré, décalé, de l’Afrique… Car voici bien la vocation du festival dionysien depuis sa naissance, au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, pour un Noël malien, il y a 25 ans : donner à entendre toutes les Afrique(s), laisser vibrer ses couleurs multiples, les confronter, au fil de créations, à d’autres regards, d’autres musiques…
 
L’esprit Africolor : le programme
 
Cette année encore, jusqu’au 24 décembre, l’événement ne déroge pas à la règle, et affiche une programmation prometteuse, avec un thème tourné sur l’histoire et ses héritages : "les anciens combattants", en référence au centenaire de la guerre de 1914 et aux tirailleurs sénégalais… Africolor invite ainsi ses héros, les témoins et artisans de son histoire : Kassé Mady Diabaté, Danyel Waro, Habib Koité, mais aussi Zao.
 
Il célèbre par ailleurs les monuments africains, tombés aux "chants d’honneurs", au travers de créations, de soirées hommages consacrées à Franco (Franco Na Biso, avec notamment Jean-Rémy Guédon) ou Francis Bebey (La boîte magique de Francis Bebey, avec notamment Vlad et Solo de l’Afrique enchantée).
 
Éternel défricheur, le festival invite à découvrir des inédits, tels The Kenya Sessions de l’Allemand Sven Kacirek ou encore la Kényane de 75 ans, Ogoya Nengo. Enfin, désireux d’accompagner un renouveau de générations parmi les musiciens africains, Africolor a lancé, cette année, "Ici Kayes", un projet d’échange artistique et culturel entre les régions d’Ile de France, et de Kayes, au Mali, relayé, par les concerts Radio Kayes. Au travers des moments de musique, des conférences, des rencontres, l’Afrique brillera, une année encore, sous toutes ses facettes, dans Africolor. Embarquez !
 
Site officiel du festival Africolor 
Page Facebook du festival Africolor

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