L'Afrique musicale de Claudy Siar

L'Afrique musicale de Claudy Siar
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Couleurs Tropicales fête aujourd'hui ses 20 ans, et à l'occasion de cet anniversaire, RFI Musique ouvre le micro à Claudy Siar. Cette grande voix de notre antenne, qui a pris le 13 mars 1995 la suite de Canal Tropical après le décès de Gilles Obringer, revient sur deux décennies de musique pop en Afrique. Instantanés d'une conversation dans laquelle la musique a souvent flirté avec les contours politiques de la "génération consciente". Mais "Toi-même, tu sais"…

RFI Musique : Quand vous avez débuté Couleurs Tropicales, l'émission a rapidement fait le lien entre la musique africaine celle des DOM-TOM. Pour vous, était-ce une évidence ?
Claudy Siar : C'est un combat qui commence dans mon adolescence : faire en sorte de reconnecter Africa et sa diaspora. J'estimais que ma génération devait être dans le sillon tracé par les Senghor, Césaire, Damas, Marcus Garvey et d'autres, c'est-à-dire construire des liens, rappeler à ces populations de la diaspora que la terre du départ était l'Afrique. Pour moi, il y avait des connexions évidentes. Et un exemple musical probant que nous devons d'ailleurs en bonne partie à Gilles (Obringer) : la réussite de Kassav' sur le continent africain. Pour les gens des Antilles, savoir que Kassav' remplissait des stades en Afrique, ça a été une fierté. De part et d'autre, on avait besoin de ce lien et de le vivre.

Couleurs Tropicales suit les tendances des musiques urbaines africaines et des outremers. Le rap, est-ce aujourd'hui "la" musique qui unit l'Afrique, les Antilles et l'identité afro-américaine ?
Oui, le rap est certainement le style musical qui permet la meilleure interconnexion entre tous les peuples afros de la planète. On peut même aller jusque dans la zone Pacifique grâce à lui, grâce au reggae aussi. On voit bien le besoin réel des rappeurs africains d'être en connexion avec les rappeurs américains ou français. Et pour les rappeurs de France, être applaudi en Afrique, aller se produire en Afrique, ce sont souvent des rêves qui se réalisent.
 
En 20 ans, comment ont les évolué les musiques africaines ?
Déjà,il y a deux mondes prédominants, le monde francophone et le monde anglophone, et il y a longtemps eu entre guillemets, un "équilibre". Les années 1990, les années 2000, ont très clairement été favorables à la zone francophone avec des musiques comme le zouglou, le coupé-décalé, le ndombolo, la rumba et son renouveau. Là, on voit bien depuis 2009, 2010, 2011, une forte présence du Nigéria et du Ghana qui sont en train de prendre le dessus tandis que les francophones s'adaptent à cette nouvelle pop azonto venant de la zone anglophone. C'est un bouleversement énorme dû à la créativité des artistes eux-mêmes, aux modes de consommation, à l'arrivée de nouveaux médias internationaux omniprésents sur le continent et à la création de médias locaux. Le revers de la médaille, c'est que bon nombre d'artistes cherchent un peu trop à faire de l'argent, à avoir un succès populaire, quelle que soit leur musique.
 
Et Internet a changé la donne dans tout ça ?    
Complètement ! Je le vois sur les réseaux sociaux, le nombre de chansons à partager que nous recevons par jour... Cela veut dire qu'en Afrique, les acteurs de la musique ont bien saisi l'opportunité qui leur était offerte de faire entendre leur voix à l'échelle internationale. Prenons un exemple concret. Le Gabon, c'est 1,5 million d'habitants. Les artistes ont du mal à construire leur carrière avec cette population. Ils ont compris qu'il fallait s'exporter et bon nombre d'entre eux font une musique qui s'exporte. C'est là où la frontière est parfois ténue entre la passion et le fait de s'adapter à un système. Moi, je dis toujours à l'artiste qu'il doit faire ce qu'il a en lui et nous verrons bien s'il est un artiste de son temps ou pas.     
Les capitales africaines sont de grands chaudrons où une danse chasse l'autre, où chaque artiste amène son propre style musical. Mais quelle place l'Afrique accorde- t'elle aux anciens ? Est-ce qu'on ne perd pas un peu le sens de l'Histoire ?
Vous avez raison, c'est bien le problème ! C'est pour cela que tous les vendredis, en première partie de Couleurs Tropicales, nous avons la séquence Tubes & Cultes. C'est important pour nous d'être la mémoire de ce qui s'est fait auparavant, de ce qui existe toujours et qui explique les nouvelles tendances musicales. Mais malheureusement, ce n'est pas le cas partout. On vit souvent dans l'immédiateté. Bon nombre d'albums qui sortent au pays n'ont pas de date. Observez ça, c'est hallucinant quand même ! On ne comprend pas que c'est important de mettre une date sur un disque : on ne voit pas demain.  
 
Il est impossible de lister tous les artistes passés par votre émission. Mais s'il ne fallait en retenir qu'un seul, lequel citeriez-vous ?
C'est compliqué de citer des gens dont on ne sait pas ce que sera la suite de leur carrière, même s'ils sont là depuis quinze ans. S'il y a une personne qui est pour moi un symbole des musiques pop d'Afrique, c'est Manu Dibango. Parce qu'il a une longévité, parce qu'il a une intelligence de la musique, parce qu'il a foulé toutes les terres du monde avec son africanité et parce qu'il est respecté de tous. Manu est un vrai symbole de cette Afrique qui se cherche encore, mais qui gagne, et qui a une image digne.
 
Une conclusion...
… pour dire que nos phrases célèbres comme "Toi-même, tu sais" ou "S'unir pour bâtir, c'est grandir ensemble" ne sont pas simplement des concepts, ce sont des leitmotivs pour changer ce monde.
 
Émission spéciale Couleurs Tropicales en direct du Pan Piper à Paris le 13 mars à 20h30. À écouter sur l'antenne de RFI ou à voir en vidéo et en direct sur rfi.fr et rfimusique.com
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