Elemotho, le Kalahari en itinérance
Lauréat du prix Découvertes RFI-France 24 en 2012, Elemotho a commencé depuis plusieurs années à se faire un nom au-delà des frontières de son pays, la Namibie, avec des chansons qui veulent donner matière à réflexion, mélange de légèreté et de profondeur. Son troisième album Ke Nako sort dans quelques semaines, coproduit par un musicien français installé à Windhoek.
Elemotho a passé trois mois aux Etats-Unis, où il est parti seul avec sa guitare, après ses études de philo à l’université. Deux ans en Norvège, à dispenser un enseignement artistique. Chaque année, il se rend en Espagne, pays de sa femme. Il a joué au festival Sauti sa Busara sur l’île de Zanzibar, en Afrique du Sud ou encore au festival d'Avignon, en 2001, dans le cadre d'un programme d'échanges culturels.
Mais pour Elemotho, le point de départ se situe dans la partie orientale de la Namibie. Le Kalahari, vaste zone désertique. "Beaucoup de sable. Beaucoup d’acacias à girafe. Un grand ciel bleu. Et partout tu peux voir le paysage jusque très loin", décrit-il. L’isolement, le silence qui enveloppe tout. "Quand tu grandis dans une ferme, tu dois te distraire tout seul, avec le ciel, les étoiles. Il n’y a pas d’électricité. Il faut que tu te parles tout le temps parce que tu ne parles à personne. Penser. J’aime penser. C’est mon truc. Parfois, je pense trop !"
Les mots et les idées s’enchaînent à toute allure, dans la bouche du chanteur aujourd'hui trentenaire. Il les lance, les rattrape – ou pas –, les fait rebondir, animé par un esprit à la fois ludique et profond. Celui qui raconte volontiers avoir été nourri par les récits au coin du feu, durant son enfance, précise que ces légendes peuplées d’animaux ou retraçant le passé de son peuple étaient porteuses de messages. "Ma grand-mère me demandait toujours :'Qu’est-ce que ça t’a appris ?' C’est ce que j’ai retenu et qui me plait. J’aime les histoires derrière les histoires. Pourquoi ? Comment ? La musique est comme la bande sonore de ce que j’ai à dire. Mais les chansons que je fais ne disent pas seulement d’où je viens, elles disent où je veux aller. C’est ma perception du monde."
Il a écouté les radios du Zimbabwe, d’Afrique du Sud et du Botswana durant l’apartheid, puis le r'n'b et le rap quand il entre au lycée. Il cite les Américains Nas, Tupac… La Namibie vit alors une période de changements : la fin du régime de séparation entre Blancs et Noirs, l’indépendance, la présence de soldats des Nations Unies venus de Cuba, de République tchèque…
Pour Elemotho, c’est l’arrivée en ville, l’apprentissage de l’anglais (langue officielle du pays) dans lequel il se plonge en dévorant tous les livres qui lui tombent sous la main. La disparition de sa mère, aussi. Après avoir fait ses débuts comme musicien dans un groupe formé pendant ses études supérieures, à la fin des années 90, Elemotho décide de poursuivre sa route, avec ses questions et ses envies de liberté, de découverte.
Trois albums et le prix Découvertes RFI-France 24
Un état d’esprit que reflètent ses deux premiers albums, The System Is A Joke puis Human en 2008. Pour leur auteur, ils constituent un ensemble : l’un sur "ce que l’on perçoit", l’autre sur "ce que l’on est". Une même façon de procéder pour les deux, basée sur une approche live. Un même lieu pour enregistrer, avec le même ingé son.
Cette fois, pour Ke Nako (signifiant "le moment est venu") qu’il s’apprête à commercialiser le 1er décembre, il a adopté une autre démarche, laissant bien plus de place au travail en studio. S’il avait les chansons en tête, il a voulu voir comment il pouvait les faire évoluer, dans quelles directions.
A ses côtés pour ce projet, Christian Polloni. Installé à Windhoek depuis longtemps où il a monté le Cabanon Studio, ce guitariste français avait produit la compilation A Hand-full of Namibians en 2004. "Il m’avait dit, il y a quelques années : 'Ce serait bien qu’on travaille ensemble'. Mais à l’époque, je lui avais répondu que j’essayais d’emprunter un chemin personnel", rappelle Elemotho.
"Et puis j’ai fini par lui dire : 'Ok, essayons'. Entre temps, on avait collaboré ensemble à d’autres projets. Il connaît son domaine. Ce n’est pas seulement un réalisateur de studio, il a été sur scène avec Youssou N’Dour, Alpha Blondy… Il a joué avec beaucoup d’artistes. Ce que j’aime et respecte, c’est cette touche du musicien live."
Avec le prix Découvertes RFI-France 24 que le jury présidé par la Béninoise Angélique Kidjo a choisi de lui attribuer, le 3 octobre, le Namibien sait qu’il dispose d’un atout supplémentaire dans son jeu. "Ça change tout !" s’exclame-t-il. "Maintenant, je peux toucher plus de monde, parce que la porte est ouverte. Avant, il fallait que je brise la fenêtre."