Samba Touré, le blues malien en colère
Modelé par la situation troublée que connaît le Mali depuis l’an dernier, l’album Albala (Danger) du guitariste songhaï Samba Touré est imprégné d’une atmosphère où la tension est perceptible. Après avoir fait l’éloge de la diversité malienne dans son précédent disque récompensé dans son pays, il était nécessaire pour ce disciple d’Ali Farka Touré de faire entendre sa voix.
RFI Musique : Pourquoi le morceau qui donne son nom à l’album, Albala (Danger), est-il instrumental, alors qu’on s’attend plus logiquement à un texte avec un message fort ?
Samba Touré : Le danger se situe à plusieurs niveaux. Il est sécuritaire avec ce qu’on a connu au nord du pays depuis plus d’un an, toutes ces horreurs, ces crimes, ces viols et ces destructions perpétrés par tous ces groupes armés. Mais le danger, c’est aussi la désunion, l’injustice et l’impunité contre les criminels, la corruption, les actes de vengeance gratuits, les risques kamikazes de plus en plus grands…. Il était difficile d’aborder tous ces sujets dans un même texte, et les mots ne suffisent pas toujours à dire un sentiment profond. La musique seule peut parfois essayer d’y parvenir. J’avais fait des prises de voix pour ce morceau. Mais ça n’a jamais collé, trop de choses à dire sur une si douce mélodie…Quelque chose ne fonctionnait pas. On a donc gardé l’instrumental.
Y a-t-il un évènement précis, dans les troubles qu’a connus le Mali en 2012, qui a joué un rôle déterminant dans la façon d’aborder cet album ?
Oui, plusieurs même. Comme ce jour où un couple qui avait eu des relations hors mariage, a été enterré vivant puis lapidé à mort. Ça a été un choc qu’une telle horreur arrive chez nous, au Mali. Et puis à un moment, on a tous senti que la communauté internationale essayait de différencier les groupes terroristes qui ont mis le pays dans ce chaos. Certains étaient présentés comme acceptables parce que laïcs. Je ne vois aucune différence entre un criminel soi-disant religieux et un assassin laïc. Ils n’ont été qu’un seul et même bourreau pour les populations du Nord. Ça m’a beaucoup énervé de voir qu’on voulait tenter d’exonérer certains coupables de crimes. C’est à tous ces groupes criminels, quels qu’ils soient, que je m’adresse, notamment dans Fondora. Toute mon indignation est dans ce morceau. Mais je ne pouvais pas faire un album qu’avec de la colère. J’ai donc mis aussi des thèmes sociaux, une chanson d’amour.
Comment avez-vous vécu “de l’intérieur” l’enregistrement ?
Ce n’était parfois pas facile d’entrer en studio après avoir reçu un appel téléphonique qui m’apprenait un nouveau massacre dans ma région d’origine. Il fallait essayer d’arrêter d’y penser et jouer, dans un mélange de peur et de colère. C’est vraiment bizarre et pas très confortable. Encore plus quand les longues coupures de courant nous empêchaient de travailler et nous replongeaient dans nos pensées. Mais on est une équipe soudée, une petite famille, et ça nous a aidés à rester concentrés et à garder de bonnes vibrations.
Certaines chansons sont en bambara, d’autres en songhaï. Qu’est-ce qui guide le choix, conscient ou inconscient, de la langue ?
Il y a même parfois plusieurs langues dans un morceau ! C’est une façon pour moi de m’adresser au plus grand nombre, de sorte que tous les Maliens puissent comprendre mes chansons. Je l’ai toujours fait depuis mes débuts. Je suis malien avant d’être songhaï. Evidemment, si je chante sur un rythme peul, cette langue me vient plus naturellement. Si je chante un rythme songhaï, je vais privilégier le songhaï, mais les exceptions sont possibles. J’utilise le bambara, qui est la langue la plus parlée au Mali, pour les morceaux les plus fédérateurs, ceux sur l’unité, la solidarité. Et j’utilise le songhaï pour les titres dont les sujets me touchent profondément, car c’est ma langue maternelle, celle dans laquelle je m’exprime avec le plus de précision.
En 2011, vous avez reçu le Tamani du meilleur album international de l’année pour Crocodile Blues, à l’occasion des trophées de la musique au Mali. Qu’est-ce que cette distinction signifie pour vous ?
Etre reconnu par les professionnels et le public qui ont voté pour moi est forcément une chose agréable, surtout dans mon pays. Tant d’artistes maliens sont aimés et reconnus dans le monde entier mais restent négligés dans leur propre pays où la jeunesse préfère souvent écouter Rihanna. Au pays d’Oumou Sangaré, quel dommage !
Je ne crois pas que quiconque se revendique d’Ali, pas même son fils Vieux Farka. Certains en parlent comme d’un collaborateur avec qui ils ont eu le plaisir de travailler un jour, d’autres sont toujours fidèles à lui rendre hommage. Chacun essaye simplement de faire sa propre musique, d’Afel Bocoum à Rokia Traoré. Musicalement, on trouvera plus d’Ali dans la musique de Bombino au Niger, qui n’a pas connu Ali, que chez Rokia Traoré ou Bassekou (Kouyaté, ndlr) qui l’ont bien connu. Tous ceux qui l’ont aimé sont comme une grande famille, qu’ils soient maliens, nigériens ou même occidentaux, qu’ils soient musiciens ou non, qu’ils aient connu Ali ou non.