En 43 minutes d’un CD intense et dense, Jupiter Bokondji et son groupe Okwess International récupèrent la place qu’ils auraient dû occuper depuis bien longtemps sur la scène musicale africaine, dans le peloton de tête. Sur Hotel Univers, gorgé de l’énergie de leur ville Kinshasa, ils se sont affranchis des pesanteurs locales, à des années-lumière du répertoire et de l’image des célébrités de la musique congolaise d’aujourd’hui, telles que Koffi Olomide ou Fally Ipupa. Réjouissant.
Un Congolais qui chante en allemand, ose balayer d’un revers de main la supposée sagesse des anciens, tout ça sur une déferlante de rock africain, à la fois artisanal et élaboré, avec une basse ronflante et une grosse dose de cuivres façon afrobeat nigérian ? Aucun doute : Jupiter Bokondji est un artiste iconoclaste.
Avec la sortie d’Hotel Univers, son heure semble enfin venue. Huit longues années ont passé depuis le documentaire La Danse de Jupiter qui avait fait découvrir ce personnage attachant sans avoir vraiment sorti de l’ombre, l’artiste. Les projecteurs s’étaient davantage braqués sur ses compatriotes de Staff Benda Bilili, que l’on voyait apparaître pour la première fois dans le film avant qu’un autre leur soit consacré, puis qu’ils enregistrent des albums avec le succès que l’on connait.
Rien n’est allé vraiment vite dans la carrière de celui qui représentait déjà son pays au Masa (Marché des arts et du spectacle africains) en 1999 et fête ses 50 ans en 2013. D’ailleurs, les sessions qui constituent la matière première d’Hotel Univers datent de 2010 – quelle péripétie est donc survenue pour retarder autant le projet ?
Entre-temps, le filiforme “General rebelle”, comme le surnomment les Kinois, a cueilli les fruits de la bienveillance du Britannique Damon Albarn, qui l’a associé entre autres à son album Kinshasa One Two, et l’a fait profiter de son réseau. Sans doute est-ce là une des explications de la présence et du rôle joué par le tandem composé de Marc-Antoine Moreau et Laurent Jais, respectivement producteur et ingénieur du son, qui s’est illustré à plusieurs reprises avec Amadou & Mariam, eux-mêmes proches de l’ex-Gorillaz.
Car le contenu de cet album, présenté comme le premier destiné à l’international, tranche avec celui de Man Don’t Cry, le "vrai" premier CD de Jupiter sur le marché mondial paru en 2007 et enregistré à Kinshasa par le Français Yarol Poupaud, ex-guitariste de FFF. Y compris sur les trois morceaux en commun (Solobombe, Bakwapanu et Mwana Yokatoli).
Le cru 2013 respire la super production, avec ce qu’il faut de formatage, de son qui claque, pour être accessible au plus grand nombre, selon la méthode éprouvée par Bob Marley à l’époque de Catch A Fire. Le procédé n’a cependant pas dénaturé la musique qui conserve sa richesse rythmique, avec la saturation des instruments en arrière-plan et un habillage d’ambiance de rue.
Le côté soul funk afro-américain de certains passages fait remonter à la surface le souvenir de M’Bamina, cet atypique groupe africain à dominante congolaise qui avait fait la première partie de James Brown et de Claude François à la fin des années 70. Et puis il y a Jupiter, sa voix grave, son côté punk qui ne remet pas en question son ancrage authentique dans sa culture, pour parvenir à observer et mettre en perspective la société dans laquelle il vit avec un recul rare.
Sur Hotel Univers, il a tout donné, conscient de l’opportunité qui s’offrait enfin à lui. “Je suis au bord de l’explosion. Tous mes nerfs sont tendus. C’est pour ça que je dois finir cet album maintenant”, confiait-il dans une vidéo tournée au moment des sessions. “Et après, j’irai m’enterrer pour dormir pendant trente ans !” Pas sûr qu’on le laisse faire…
Jupiter & Okwess International Hotel Univers (Out Here Records) 2013