Vieux Farka Touré, au son du père

Vieux Farka Touré, au son du père
© Zeb Goodell

Après plusieurs mois de guerre, où Vieux Farka Touré a suivi à distance le quotidien chahuté du Nord Mali, il offre à sa région un cinquième album lumineux, Mon Pays, où il reprend avec sagesse le flambeau de son père, Ali Farka Touré.

Après plusieurs mois d’éloignement forcé, Vieux Farka Touré rentre juste de Niafunké, la petite ville du Nord Mali, dont il est originaire, à 250 kilomètres au sud de Tombouctou. Inaccessible au plus fort de la crise, réduite au silence par les groupes armés, Niafunké est le socle de la famille Farka Touré. L’héritage paternel est là, dans les hectares de verger et surtout l’incroyable métissage culturel de la zone, inépuisable source d’inspiration de sa musique. Au téléphone depuis Bamako, Vieux Farka Touré se dit rassuré : le bétail a été dispersé et le verger est en friche, mais la famille va bien. Niafunké a tenu bon. La vie reprend son cours, même s’il faut tout reconstruire.

 
Entre Nord et Sud
 
Et la musique ? Avec l’âge, Vieux Farka mûrit. A 32 ans, celui qui avait plutôt cherché à donner une couleur internationale à sa carrière (Etats-Unis, Israël), a eu besoin de revenir aux sources. Comme si la guerre qui a menacé le mode de vie paisible, musical et multiculturel de la région de Tombouctou l’avait incité à s’en rapprocher. Alors à Bamako, à quelque huit cents kilomètres de son terroir d’origine, Vieux Farka a composé des morceaux qui auraient pu naître dans le salon de la maison familiale, au bord du fleuve Niger ou sur la terrasse de l’hôtel Ali Farka.
 
Le tempo est plus lent, la calebasse a remplacé la batterie, Vieux va à l’essentiel. Il chante la paix, l’entraide, la tolérance. Entouré – comme souvent – du groupe Asko de Niafunké qui jouait avec son père, Aly Magassa à la guitare et Souleymane Kane aux percussions, Vieux Farka reprend le flambeau Touré. Comme Ali, il chante en plusieurs langues, peul, bozo, songhaï, bambara, "pour montrer à chacun qu’ils sont tous des enfants du Mali", explique-t-il. "Au plus fort de la crise, de Bamako, on avait vraiment l’impression que le nord ne faisait plus partie du Mali".
 
Un arrachement pour ceux qui considèrent l’extraordinaire mixité du nord comme une richesse. "Le discours ambiant au nord en ce moment reste très dur envers les Tamasheqs, j’essaie de dire que certains ne font pas la rébellion, qu’il ne faut pas tout mélanger. Il faut sensibiliser les gens, les aider à reprendre leur calme. C’est notre devoir. La guerre a mis à jour mon rôle de… responsable, en quelque sorte".
 
Face au chaos
 
A Niafunké, un comité de sages a permis au tissu social de ne pas craquer. Dans l’absurdité de la guerre, quand tout bascule, les voix qui appellent à la sérénité et à la tolérance comptent. D’ailleurs, comment ne pas penser à Ali Farka Touré, décédé en 2006 et qui fut maire de la ville ? Comment aurait-il réagi face au chaos malien ? "Ah vraiment... Je me suis beaucoup posé la question. Mais malheureusement, il n’est plus là. Il tenait beaucoup au Mali. Pour lui, le nord et le sud, c’était la même chose. Ce qui comptait, c’était se battre pour là d’où tu viens. C’est la raison pour laquelle il a beaucoup fait pour le cercle de Niafunké et de Tombouctou (cercle = région, ndr). Pour lui, il fallait se battre, mais pas avec les armes", explique Vieux.
 
Son combat était culturel, mais aussi agricole, sanitaire… Dans le morceau Nouhoume Maïga, Vieux Farka rend hommage à un bienfaiteur de la ville, qui emploie des jeunes, crée de petites entreprises et incite ceux qui en ont les moyens à aider leurs proches. Vieux Farka veut créer une association, pour aider les habitants de Niafunké "à se remettre des blessures de cette guerre". Avant tout, il faut évaluer les besoins et soulager les familles. "Par exemple, l’école où j’allais petit a été gâtée, ils ont brûlé les bancs, il n’y a plus rien. Donc je vais donner des fournitures scolaires, pour que les enfants puissent étudier", détaille Vieux.
 
Ils, ce sont les islamistes. Dans le morceau Allah Wawi, Vieux chante en peul que "Dieu seul peut" : "Pendant la crise, les rebelles disaient qu’il faut appliquer la charia, couper des mains, ne pas fumer, tout ça… Dans ce morceau, je dis que personne ne peut plus que Dieu." Ces mêmes extrémistes considéraient la musique comme un péché et ont coupé le son du nord Mali. Dans Mon Pays, la kora délicate de Sidiki Diabaté, autre fils d’un géant de la musique malienne, Toumani Diabaté, est là aux côtés de Vieux Farka pour donner à entendre un Mali uni. La guitare de Vieux Farka est chargée de sonorités du nord du pays, la kora de Sidiki charrie la grande histoire mandingue, dont le berceau culturel se trouve bien plus au sud, entre la frontière guinéenne et Bamako. Et avec quelle grâce ! Au même titre que Toumani et Ali Farka conversaient avec brio dans l’album In The Heart Of The Moon, leurs fils esquissent dans le titre Future l’avenir qu’ils souhaitent au Mali : radieux.
 
 
Vieux Farka Touré, Mon Pays (Six Degrees / Universal) 2013