Sidi Touré, leçon de persévérance

 Sidi Touré, leçon de persévérance
Sidi Touré © Jonathan Crawford

Longtemps dans l’ombre après avoir fait partie d’un des groupes phares du Mali dans les années 80, le chanteur et guitariste Sidi Touré a désormais trouvé sa place sur la scène internationale. Son nouvel album Alafia porte les traces du récent conflit dont son pays a été le théâtre.

RFI Musique : Votre album Alafia sort alors que vous êtes aux États-Unis pour une nouvelle série de concerts. Comment s’était passée votre première tournée outre-Atlantique ?
Sidi Touré : Je ne me souviens que de ce qui était fabuleux. Pour quelqu’un comme moi qui quittait l’Afrique, précisément le Mali, et venait jouer devant des gars qui te regardent jusqu’à être ébahis, c’était incroyable. Je découvrais un monde carrément différent. Des grandes avenues, des grosses voitures. À la télé, je le voyais, je l’imaginais, mais sur un écran, on peut dire que c’est du cinéma. Alors que là, je touchais la réalité.

Avez-vous le sentiment que les événements qui se sont déroulés l’an dernier dans votre pays ont changé son image ?
Aux États-Unis, on ne situe le Mali que lorsqu’on parle de Tombouctou et je ne pense pas qu’il y ait encore quelqu’un qui ne connaisse pas mon pays. Grâce à la France et la communauté internationale, il a été libéré et tout le monde aujourd’hui sait où il se trouve !

Quel était l’objectif de la tournée Sahara Soul que vous avez effectuée au début de l’année avec vos compatriotes de Tamikrest et Bassekou Kouyaté ?
Quand on avait émis l’idée de faire la tournée, c’était pour montrer que ce qui compte avant tout, c’est que nous sommes tous des Maliens, bien que nous soyons de régions différentes. Le Mali est un et indivisible. À travers la musique, à travers notre exemple, il fallait montrer qu’on peut se parler, faire des choses ensemble. Dire aux gens qui ont commis des erreurs qu’elles ne doivent plus être commises. Mais il n’en demeure pas moins que ceux qui ont fauté, qu’ils soient jugés et condamnés.

À quel moment avez-vous mis en route ce nouvel album, Alafia ?
Je l’ai commencé quelques mois avant les hostilités. Si vous écoutez les chansons, je parle beaucoup de paix, de réconciliation, de l’amour pour la patrie. L’or du Mali, ou son pétrole, c’est cette diversité culturelle que l’on a depuis le 13e ou le 14e siècle. Voilà pourquoi tu peux voir un jeune Touareg à la peau claire : parce que son père est un Diarra, ou un Keita.

 

Le contenu de l’album a-t-il du coup été influencé par la situation ?
Celles qui parlent de paix et d’amour de la patrie sont arrivées avec les événements. Mais certaines étaient déjà prêtes, comme Mali Multiracial. Souvent, les gens pensent que je suis un prophète, parce que j’ai fait ce morceau il y a cinq ou six ans, mais ce n’est qu’aujourd’hui que l’on comprend ce que je voulais dire. L’artiste est celui qui voit plus que les autres. On peut remercier le Bon Dieu d’avoir cette imagination. Je chante toujours ce que je vis, ce que je constate. Et ce qui vient en rêve : des chansons de possession. Je demande aux esprits qui ont toujours protégé la ville, et qui sont fâchés aujourd’hui parce qu’on ne les croit plus, d’avoir pitié de leurs enfants et de leurs petits enfants.

Pour cet album, vous avez continué à travailler étroitement avec le Français Nicolas "Covalesky" Richard ? Comment fonctionne votre association ?
Avant d’être mon producteur, c’était mon ami. La première personne chez qui il est descendu au Mali, c’était moi. Il était dans une association, avec quelques Touaregs, et on lui avait donné mon adresse. Lui-même faisait un peu de la musique. Quand il est venu, il a trouvé mon premier album qui a été piraté en Angleterre et il a voulu m’aider. Il a commencé par m’ouvrir une boîte électronique. Et un jour, il m’a dit qu’il avait réuni quelques sous, que ce n’était pas grand-chose, mais qu'on pourrait faire un album. On a d’abord enregistré Koima. Après, il m’a demandé si ce ne serait pas mieux de faire comme on en a l’habitude dans les rues de Gao : on prend la guitare, on joue avec les amis. J’ai trouvé que c’était un bon projet, Donc, nous sommes allés dans le nord du pays, dans la maison de ma sœur. C’est là-bas qu’on a fait Sahel Folk, le précédent disque.

Où en était votre carrière au Mali lorsque cette rencontre productive a eu lieu ?
Je n’avais même pas de carrière en mon nom au Mali ! J’ai quitté l’orchestre régional de Gao, the Songhaï Stars, vers 1990. Je m’étais dit qu’il était temps de mettre ma musique sur le marché et c’est à ce moment-là que je me suis installé à Bamako. J’ai fait mon premier album au bord du fleuve Niger dans un petit studio, mais malheureusement, on m’a arnaqué. Et depuis, certains pensaient que j’avais abandonné la musique. Mais ils se leurraient. Ça m’a donné une force inouïe ! Vous ne connaissez pas Sidi : le bélier, quand il recule, c’est pour mieux sauter !

Sidi Touré Alafia (Thrill Jockey Records) 2013
En concert aux États-Unis à partir du 19 septembre

Site officiel de Sidi Touré
Page Facebook de Sidi Touré

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