Erik Aliana, héraut du village
Dix ans après avoir commencé à faire parler de lui sur les scènes occidentales avec son groupe Korongo Jam, le Camerounais Erik Aliana sort son troisième album intitulé Just My Land, imprégné des rythmes et mélodies des forêts de cette Afrique centrale équatoriale qu’il porte en lui. Rencontre.
RFI Musique : Le nouvel album a pour titre Just My Land, alors que le précédent faisait allusion à votre village. La notion de territorialité est-elle primordiale dans votre approche de la musique ?
Erik Aliana : Ce qui m’a amené à la musique, c’est tout ce que j’ai pu vivre au village : les sons, les ambiances, la vie avec les cousins là-bas. Ça imprime vraiment ma musique, ma manière de l’entrevoir et je reste attaché au fait que ce que je fais vient de là, quelle que soit la manière dont découle la musique que je crée.
Quelle place la tradition occupe-t-elle dans votre musique ?
J’essaie de respecter la structure, les intentions de nos musiques, l’esthétique. Je garde toujours ce fond de polyrythmie, qu’elle soit jouée par l’instrument, ou vocale. Avec une notion de rythme qui bouge : un rythme ternaire dans lequel j’imbrique un binaire. Même si je fais une ballade un peu folk, il y a toujours une pulsation que je vais aller prendre dans celles de nos musiques. Et puis la part de la tradition se retrouve aussi dans les textes : j’essaie de m’exprimer comme s’exprime la sagesse de chez nous, celle des anciens, avec le bon patois, la grammaire de nos langues. Mais je suis issu d’un métissage – aucun Camerounais d’aujourd’hui ne ressemble à ceux de 1800 – et j’ai écouté beaucoup de styles dans mon enfance : Joe Dassin, Dalida, Mireille Mathieu, Brel... J’ai dansé sur Michael Jackson, fait du smurf… Du coup, même dans notre manière de jouer le mvet, la guitare traditionnelle, ce sera différent, on va entrer l’harmonie autrement.
Comment avez-vous acquis ces connaissances ?
Comme beaucoup de jeunes Africains ou Camerounais, jusque dans les années 90, on avait la chance d’être en ville et d’aller à l’école du Blanc. En parallèle, on avait l’école du village. J’ai passé beaucoup de temps au village, avec mon grand-père, à l’époque où les planteurs de café et de cacao au Cameroun étaient riches, avant la dévaluation. J’ai assisté à toutes les traditions, les rites, les danses. Le soir, par exemple, on nous envoyait à 18 heures à la mission catholique pour dire l’heure avec des gros tam-tams. Ou on accompagnait la grand-mère et la maman au chant. On intègre ces notions, peut-être inconsciemment. Grâce à mon papa, qui était proviseur de lycée et voulait faire de moi un avocat, un médecin, j’ai eu la chance d’aller dans des écoles assez prestigieuses où il y avait des orchestres de musique. À cette époque, il y avait des compétitions interscolaires entre orchestres. Donc, j’ai commencé la batterie très tôt au lycée de Fumban, jusqu’à l’université de Yaoundé. Automatiquement, on commence à vouloir comprendre ce qu’on faisait par réflexe. Et puis parce qu’on se met à écouter des musiciens de renom du pays : Eboa Lotin, Anne-Marie Nzié... Ces gens qui faisaient le bikutsi ou le makossa. Et puis, avant de monter mon groupe Korongo Jam, je suis entré au cabaret La Terre battue à Yaoundé.
Est-ce là que vous avez mûri votre projet ?
C’était un espace où des gens qui pensaient la musique autrement, comme Cyril Effala, Blick Bassi et moi, pouvions nous exprimer. Un cabaret select qui est devenu populaire. Steve Ndzana, qui a créé ce lieu en 1998 et qui est le batteur de l’orchestre de la radio et télévision camerounaise, nous a donné notre chance. Il nous a donné la chance de nous exprimer. J’ai quitté le cabaret quand j’ai décidé de créer le Korongo parce que je ne voulais plus interpréter Wes Madiko, Lokua Kanza, Salif Keita… Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. On s’interroge beaucoup : c’est quoi la musique camerounaise aujourd’hui ? Sur place, on ne la trouve pas. À l’extérieur non plus. On ne sait pas comment on peut l’identifier. C’est quoi sa couleur ? Avec les Têtes Brûlées, dans les années 80, on pouvait le faire, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le son de Manu Dibango, un tonton que je respecte, n’est pas camerounais. Richard Bona a bien commencé, mais on se demande aujourd’hui s’il n’est pas américain, là. Sally Nyolo a commencé quelque chose de bien. Elle m’a beaucoup touché. À cette époque, est venu un super directeur du centre culturel français. Il s’est mis à chercher des groupes au Cameroun, à faire des auditions et m’a repéré. Au départ, ce ne sont pas les Camerounais qui m’ont aidé. Pour les professionnels, j’étais villageois, ringard.
Comment le nouvel album Just My Land s’articule-t-il avec le précédent, Songs from Badissa ?
Dans chaque titre de Songs from Badissa, je racontais une histoire assez spécifique, musicalement, de mon enfance à Badissa. Je l’ai fait presque tout seul, parce que c’était difficile de me suivre. C’était ma magie à moi. Tandis que Just my land, c’est le disque que je voulais faire pour que les gens écoutent. Laisser un peu mes folies, ou les mettre par petites touches. Être moi. Le premier titre, je l’ai depuis dix ans, mais je ne pouvais pas le faire. Je ne le trouvais pas assez africain. Mais tu grandis et tu te rends compte que ce sont des choses simples dans la vie qui font du bien.
Erik Aliana Just my land (Buda Records/Universal) 2013
Page Facebook d'Erik Aliana