Le groove sahélien de Mamar Kassey

Le groove sahélien de Mamar Kassey
Mamar Kassey © DR

Après quatre ans d’absence, le groupe nigérien Mamar Kassey revient porter sur les scènes du monde son entêtant groove sahélien, avec un nouvel opus, Taboussizé.

Sur la photo qui illustre Taboussizé, le troisième album de Mamar Kassey, les huit musiciens du groupe posent tout sourire, sur une Citroën Dyane bleue aux phares allumés dans une rue de Niamey. Yacouba Moumouni, leur leader, chanteur et flûtiste, trône au centre dans un généreux boubou de bazin moutarde.

Après quatre ans d’absence, Mamar Kassey revient prêcher sur les scènes du monde son credo : une musique néotraditionnelle, inspirée de "chansons de village" passées au tamis urbain de Niamey, capitale sahélienne poussiéreuse et cosmopolite. C’est là où le tout jeune Yacouba Moumouni y a fait l’apprentissage de la vie et de la musique, qu’il a rencontré ses maîtres de chant et de flûte, qu’il a vu débarquer de brousse, comme lui, des Peuls, Haussas, des Zarmas, avec leur répertoire et leurs instruments. Là aussi que Mamar Kassey est né, un jour de novembre 1995.

Flûtiste-mécano

A ce moment-là, Yacouba Moumouni a vingt-cinq ans, mais déjà un long apprentissage de la musique. Enfant, il a mené les bêtes paître aux champs, en jouant dans une flûte en bambou pour tuer le temps. Au décès de son père, il s’enfuit de la maison familiale et marche pendant six jours pour rejoindre Niamey à pied. Il a neuf ans.

Pour se loger et gagner de quoi vivre, il devient domestique chez une chanteuse, Absatou Dante. "Il y avait 25 personnes à la maison, je classais les tambours de la troupe avant les répétitions, je lavais les habits, j’allais au marché. Et puis le flûtiste titulaire, Harouna Marounfa est devenu mon maître de flûte", se souvient-il.

Un jour de 81, le maître disparaît dans la nature et il faut le remplacer au pied levé, pour jouer devant sept chefs d’État : le petit Yacouba qui s’était entraîné en secret, fait le job. De là, il devient mécanicien le jour et s’entraîne le soir au Centre culturel franco-nigérien. "Un jour, le chef du centre de formation musicale du Centre culturel franco-nigérien a envoyé quelqu’un me chercher alors que je travaillais au garage. Je me rappelle bien, j’étais en train de réparer un amortisseur de R18. Il s’agissait de jouer avec l’orchestre national de la capitale, le Takeda, d’être engagé et payé ! J’avais quelques mois d’essai, mais au bout d’une semaine, j’étais engagé !"

Yacouba Moumouni reste deux ans au sein du Takeda. Il commence à se faire un nom en tant que flûtiste, vient jouer en solo au festival Africolor, puis rencontre Oumou Sangaré et Ali Farka Touré à Londres. "Ils m’ont donné un conseil : 'Foncer sur la tradition'. A l’époque, à Niamey, les orchestres donnaient dans le zouk ou la rumba zaïroise, c’était donc révolutionnaire de jouer nos rythmes", se rappelle Yacouba.

Il entreprend donc de fusionner les terroirs, les langues, les instruments et de monter un répertoire, qui fait tout de suite mouche. Invité aux Nuits Atypiques de Koudougou, au Burkina Faso, le groupe se produit ensuite sur la scène des Nuits Atypiques de Langon, en France et signe sur le label Daqui, pour deux albums.

En boucle

Que connaissait-on du Niger sur les scènes internationales ? Les danses peules wodaabé et c’est à peu près tout. Le groove sahélien de Mamar Kassey - du nom d’un guerrier de l’empire Songhaï - conquiert l’Europe. Au Niger, il revient auréolé de ses succès, la quarantaine de radios privées du pays diffuse en boucle certains de ses tubes. Un phénomène qui s’est reproduit ensuite à la sortie de chaque album : "Actuellement, c’est le morceau Kissey qu’on entend non stop. Il raconte les complications du mariage. Les belles-mères se mêlent de la vie des foyers, elles arrangent ou dérangent les mariages : résultat, tout le monde est malheureux. Du coup, aujourd’hui, les jeunes évitent de se marier. C’est trop compliqué, ça coûte trop. On ne peut pas dire ça ouvertement au Niger, donc les gens appellent les télévisions et les radios pour demander qu’on le diffuse".

A Niamey, Mamar Kassey se produit de moins en moins. Le groupe n’anime pas les fêtes familiales. Il se réserve pour les concerts lors de manifestations culturelles "sérieuses", les festivals ou les dîners à la présidence. Les occasions se font donc rares… "Niamey est pris en étau, entre le Nigéria, la crise au Mali, un contexte sahélien tendu" soupire le flûtiste breton Jean-Luc Thomas, directeur artistique du disque et compagnon de route de Yacouba Moumouni sur un autre projet, Serendou.

Enregistré au Centre de Formation et de Promotion Musicale de Niamey en janvier 2012, en plein lancement de l’opération Serval au Mali, l’album a failli ne jamais voir le jour pour des raisons de sécurité. Mais l’envie et les risques économiques pris par le label breton Innacor ont pris le dessus. L’équipe a posé ses valises à Niamey et sublimé une tension latente en belle sérénité. Intenses, précieux et envoûtants, les dix morceaux de Taboussizé sont des moments de fête et de grâce arrachés aux heures tendues de la zone sahélienne.

En concert le 12 décembre, à la Dynamo de Banlieues Bleues, à Pantin, dans le cadre du festival Africolor.
Mamar Kassey Taboussizé (Innacor) 2013
A écouter aussi : Mamar Kassey en live dans Musique du Monde (30 Novembre 2013)