Le reggae mémoriel de Benja Rutabana

Le reggae mémoriel de Benja Rutabana
Benja Rutabana © DR

Avril 1994, le Rwanda bascule dans l’horreur du génocide tutsi. Vingt ans après, l’exilé Benja Rubatana relance sa carrière avec Amnesia, un album dans la tradition du reggae africain, au croisement de la politique et du sociétal.

La vie de Benjamin Rutabana dépasse l’entendement. Même les mots les plus forts semblent tout à coup insipides, complètement disproportionnés pour raconter ce qu’il a vécu, ou plutôt traversé, tel un funambule au dessus d’un lac de flammes.

De son passage en prison en 1990 à sa détention dix ans plus tard pour les mêmes raisons de paranoïa ambiante, en passant par son engagement au sein des Forces patriotiques rwandaises durant le conflit qui a ravagé son pays, tout s’inscrit d’abord dans une violence sans nom, gratuite et surtout omniprésente.

En ce mois d’avril, vingt ans se seront écoulés depuis l’horreur et ses 800.000 morts en 100 jours. Pour ce fils de pasteur exilé en France, et aujourd’hui âgé de 44 ans, l’essentiel est d’abord que cet épisode si douloureux ne s’efface pas trop vite des mémoires. D’où le titre de son quatrième album, Amnesia, commercialisé alors qu’il publie parallèlement un ouvrage poignant intitulé De l’enfer à l’enfer.

Je constate qu’il y a une forme d’oubli de la part de mes compatriotes, mais aussi de la part de la communauté internationale qui cherche juste à mettre les points et les virgules sur ce génocide”, estime celui qui a signé des chansons très populaires parmi la jeunesse rwandaise, véritables hymnes de la "révolution"… sans que l’on sache alors qu’il en était l’auteur !

S’il avait proposé ces compositions, lorsqu’il s’était enrôlé dans les troupes du FPR, c’était surtout pour échapper à la corvée de ramassage de bois de chauffage ! De cette carrière au pays, Ben a ressuscité Isengesho (The Prayer), paru à l’origine sur son premier disque Imbaraga Z’urukundo en 2001.

A l’époque, sa base musicale est assurée par des programmations. Ce n’est qu’à partir du Retour d’Imana en 2007 qu’il a fait jouer ses morceaux par de vrais instruments. L’attention qu’il espérait susciter en France à ce moment-là ne s’est pas manifestée. Il a fallu surmonter la déception. Mettre la musique de côté.

Avec l’argent dégagé par la société de transport qu’il a montée, Benjamin a réussi à autoproduire les dix titres qui figurent sur son nouveau CD, Amnesia. L’équipe qui l’entoure est constituée de quelques pointures du reggae francophone, que ce soit aux cuivres (Guillaume "Stepper" Briard et Didier Bolay), aux claviers (Moctar Wurie) et pour la partie technique (Timour Cardenas), tandis que les arrangements sont l’œuvre de Stephan Blaess, ex-Ghetto Blaster qui s’était aussi illustré avec Princess Erika.

C’est aussi lui qui prend en charge les guitares, joliment présentes dès le morceau d’ouverture. Ce reggae-là vit, respire, laisse s’exprimer les instruments, comme sur Amateka et son clin d’œil au titre Tyler du groupe britannique UB40.

Ailleurs, l’influence – continentale – du "père" Alpha Blondy se fait ressentir, en particulier sur les chœurs, sur des chansons telles que Bleeding, Don’t Cry ou Mama, avec ces paroles qui vous plongent dans la réalité d’un fils du génocide : "Maman, où déposer des fleurs, où m’asseoir quand je pleure ?"
Benja Rutabana Amnesia (No Direction Home) 2014
Benja Rutabana De l’enfer à l’enfer Books éditions 2014
A écouter aussi :
En Sol Majeur (02/03/2014)
                                      L'Invité Culture de RFI (21/03/2014)