Pour vérifier que la langue française n'est pas menacée par une forme d'immobilisme qui la figerait dans le passé, il suffit d'écouter Zao. Tant pis si les Académiciens de la Coupole se sentent bousculés par les néologismes du chanteur congolais ! Il y a 30 ans, il avait popularisé le terme “cadavérer” (tuer, mourir) à travers sa chanson Ancien Combattant qui a fait le tour de l'Afrique francophone. Aujourd'hui, dans sa version actualisée intitulée Nouveau Combattant, il utilise le même processus de dérivation : “Les armes chimiques vont chimiquer partout, les missiles vont missiler toutes les miss”, assure le soldat de la paix, antimilitariste jusqu'au bout des ongles.
“La bouche que j'ai pour chanter, c'est quand même une force, une arme efficace”, veut-il croire, rappelant au passage qu'il n'a pas été épargné par le fléau de la guerre, lorsque celui-ci s'est abattu sur son pays à la fin des années 90. Dans sa fuite vers la forêt, pour y trouver refuge, l'artiste était parvenu à emporter quelques bandes sur lesquelles, en tant que producteur, il venait de faire enregistrer
Léon Malonga, une figure de la musique traditionnelle du Congo dont l'instrument de prédilection était le nsambi, entre la sanza et le n’goni.
“C'était vraiment une bibliothèque. J'ai beaucoup appris de lui. Il parlait par paraboles, avec des proverbes. Après avoir écouté une chanson, il y avait toujours un enseignement”, se souvient Zao. Dix-sept ans plus tard, il lui rend un hommage posthume en s'appuyant sur trois minutes de son original qu'il a pu sampler à partir d'une vieille cassette, puis rallonger pour construire le morceau
Kanga Moutima Sanza et lui coller un texte fidèle à l'esprit de ce que chantait
Léon Malonga. Cette culture des mots évoque aussi le goût des belles phrases cultivé par le Gabonais
Pierre Claver Akendengué, qu'il range parmi ses
“pères spirituels” aux côtés du Camerounais
Francis Bebey, et qu'il ne manque jamais d'aller saluer lorsqu'il se rend à Libreville. Les histoires qu'il conte ne sont pas de celles mille fois entendues.
Celui qui compte parmi ses tubes, la chanson Corbillard, ouvre son nouvel album par Ballon, évocation surprenante de celui qu'on se dispute sur un terrain de foot : “Vraiment, ballon, tu souffres. Qu'est-ce que tu as fait, ballon ? Qu'est-ce que tu as volé, ballon ? Tout le monde te court après, tout le monde te frappe, ballon, en te donnant des coups de pied, en te donnant des coups de tête”, chantent l'artiste et ses choristes, sur un schéma respectant les codes de la musique congolaise post-rumba. Le thème lui a été soufflé par un de ses compatriotes qui l'a reconnu et apostrophé, après avoir descendu quelques verres.
Transmission du savoir
S'il a fait sa
“formation” dans les chorales religieuses durant son enfance, c'est dans les
ngangas, équivalents des maquis ivoiriens, que le chanteur aime laisser traîner ses oreilles pour nourrir ses textes, lesquels continuent d'évoluer bien après leur enregistrement, durant les concerts, allongés par les idées qu'il aura mis en forme entre-temps. Avec ce fond de philosophie qui l'anime, l'ex-instituteur reste attaché à la notion de transmission du savoir, de partage des acquis de l'expérience. C'est ce qu'il fait depuis longtemps dans son pays avec l'
Espace Zao, ouvert aux jeunes musiciens,
“qui dans le quartier tapent sur des boîtes de conserve et ne peuvent pas trouver de vraie batterie ou de vraie guitare”.
Il n'hésite pas non plus à assumer des responsabilités, quand on lui propose en 2008 le poste de directeur artistique du
Fespam (Festival panafricain de musique) à Brazzaville.
“Ça ne se refuse pas !” estime le sexagénaire, avant de préciser qu'une seule édition lui a suffi.
“J'ai jeté l'éponge parce que quand tu es incompris, mieux vaut quitter les affaires avant que les affaires ne te quittent”, convient-il. Prudent, il a en mémoire les conséquences de la défection de ses musiciens, lors d'une tournée en France en 2003.
“Ils m'ont mis dans des problèmes dont je n'étais pas responsable mais j'ai toujours pardonné”, souligne celui qui a été interdit de visa pendant trois ans par l'ambassade de France.
Désormais, il voyage seul, et forme une équipe d'Africains résidant déjà sur place pour interpréter son répertoire, qui lui vaut à son tour d'être considéré par ses cadets comme une référence. Il y a peu, dans un hebdomadaire français, le chanteur belge
Stromae le citait parmi ses influences.
“Nous ne sommes que des nains portés sur des épaules de géants”, considère Zao avec humilité.
“Il faut toujours s'inspirer de quelqu'un. C'est une complémentarité.”
Zao Nouveau Combattant (Celluloid / Rue Stendhal) 2014