Boubacar Traoré, le blues et l’oiseau

Boubacar Traoré, le blues et l’oiseau
Boubacar Traoré © S. Rieussef

Doyen de ce courant musical appelé blues malien, le septuagénaire Boubacar Traoré cultive avec élégance ses chansons aux essences si puissantes. Son nouvel album Mbalimaou, a été coréalisé par son compatriote Ballaké Sissoko, virtuose de la kora réputé sur les scènes internationales.

RFI Musique : Quand vous quittez Bamako et que vous arrivez à Paris, repensez-vous à cette période de votre vie où vous êtes venu en France pour y exercer différemment métiers ?
Boubacar Traoré :
Chaque fois, je pense à ça. Je suis venu deux ans en France, de 1989 à 1991. Pour travailler. Je suis venu avec la guitare, mais pas pour gagner ma vie avec la musique. Je l’avais prise parce que, quand je joue, ça me distrait. Avec elle, si j’ai des soucis, ça passe.

Quel âge aviez-vous, quand vous avez pris une guitare dans vos bras, pour la première fois ?
17 ans. Je ne connaissais rien, mais le son me plaisait. J’ai appris avec la guitare de mon grand frère, qui a été professeur de musique. Il l’a étudiée à Cuba pendant huit ans, quand le gouvernement a envoyé là-bas douze personnes pour ça en 1964. Avec lui, il y avait notamment Boncana Maiga (ndlr : musicien et arrangeur malien réputé). Chaque fois qu’il sortait de la maison, j’allais dans sa chambre et je prenais l’instrument. C’était un modèle italien. Mais s’il me trouvait avec, il me frappait ! Un jour, quand même, il s’est mis à m’apprendre : il a vu que j’étais en train de jouer une note et m’a expliqué qu’elle venait de la musique mandingue, de la kora, et que j’étais en train de jouer de la guitare comme la kora, alors que l’une a 6 cordes et l’autre, 21.

Quand vous êtes chez vous, à quel moment de la journée prenez-vous en général l’instrument pour en jouer ?
Le soir, quand j’ai le temps. Ou la nuit. La journée, j’ai trop de travail, je ne peux pas jouer.

Sur le nouvel album, figure une nouvelle version de Mariama, une de vos chansons les plus célèbres. De quoi parle-t-elle ?
Depuis que je suis né, cette chanson existe à Kayes. Moi, en tant que musicien, j’ai inventé le son de la guitare pour accompagner le morceau. Mais sinon, c’est un oiseau qui a chanté Mariama, pas une personne. C’est une histoire du Khasso, ma région. Mariama était une jeune fille qui était très belle, aimée de tous les villageois. Un oiseau a deviné que la maman de Mariama allait mourir d’une maladie. Il a senti ça. Une vieille femme a entendu ce que l’oiseau a dit – avant, il y avait des gens qui entendaient ce que disaient les animaux. La vieille n’en a parlé à personne. Le jour où la maman de Mariama devait mourir, la jeune fille et ses copines sont parties à la rivière pour laver les habits. Et avant le soir, la maman de Mariama est décédée. La vieille femme est partie chercher Mariama à la rivière. Elle a chanté cette chanson : "Mariama, viens, quelque chose de triste est arrivé. Il faut que tu viennes voir." Mariama a bien compris. Elle a laissé ses copines, et elle a rejoint la vieille qui lui a dit que sa maman venait de mourir. Ensuite, elles sont allées à la maison. L’histoire de Mariama a d’abord été chantée par l’oiseau, mais après, tout le monde l’a chantée à Mariama : la veille femme, ses copines…


Pourquoi l’avoir reprise ?

Quand j’avais enregistré Mariama, c’était seulement " guitare et voix". Actuellement, je l’ai un peu modernisé, avec d’autres instruments : la kora, l’harmonica, la calebasse. J’ai été connu avec ça depuis les années 60. Quand je suis devenu musicien, j’ai chanté cette chanson à la radio en 1960, et ça a eu du succès. Trois de mes chansons ont eu du succès en Afrique de l’Ouest à ce moment-là : Mali Twist, Kayes-Ba et Mariama. J’étais demandé dans toute la région : Haute-Volta (ancien nom du Burkina Faso, NDR), Mauritanie, Côte d’Ivoire, Guinée... À cette époque, il n’y avait pas de cassette, on enregistrait à la radio sur des bandes et on entendait mon morceau chaque matin à l’antenne.
 
Mariama a aussi donné son nom à votre premier album, en cassette en 1989 et en CD en 1991, alors que votre carrière était en sommeil. Quel souvenir gardez-vous de cette renaissance tardive ?
J’étais content. Jusqu’à 1968, j’ai fait de la musique pour le pays, pas pour gagner de l’argent. J’ai eu du succès, mais rien dans ma poche. Et si tu n’es pas griot, au Mali, ce n’est pas la peine de faire de la musique comme ça, hein ? Après, j’ai laissé la musique pendant vingt ans. Les Anglais ont fait tout pour me retrouver, c’est une longue histoire ! Ils ont découvert la cassette et l’ont reprise pour faire des CDs. Ils ont fait de la publicité et organisé une tournée dans 27 villes d’Angleterre. J’ai toute la liste des endroits où j’ai joué, tous les numéros de téléphone... À Manchester, c’était la première fois que je montais sur scène en Europe, avec les gens qui m’applaudissaient. Je n’avais jamais été accueilli comme ça dans ma vie. Je ne peux pas oublier ça. C’était comme le paradis.

Boubacar Traoré Mbalimaou (Lusafrica) 2014
Page Facebook de Boubacar Traoré

 
A écouter aussi : reportage Culture avec Boubacar Traoré (31/01/2015)