Programmé dans le cadre de l’exposition Beauté Congo (1926- 2015), en décembre dernier, le rappeur belgo-congolais Baloji a présenté son mini album, 64 Bits And Malachite sur une scène montée au milieu des luxuriantes œuvres de ses compatriotes. Un cadre sur mesure pour un touche-à-tout inspiré. Interview.
RFI musique : Nous sommes à la Fondation Cartier, c’est le lieu idéal pour vous rencontrer, vous qui vous intéressez à la photo, à la danse, à la mode, à l’art contemporain en général. Vous avez vu l’exposition Beauté Congo (1926- 2015) ?
Baloji : Oui, au mois de juin. Ce sont des artistes importants, pas uniquement au niveau africain, ils ont marqué l’art en règle générale. Les artistes de la côte Est du Congo donnent un pendant intéressant à ce pays difficile à résumer à quelques images ancrées dans l’inconscient collectif, comme les couleurs, les sapeurs…
Est-ce qu’il y a des artistes que vous ignoriez totalement et qui vous ont plu, marqué ou inspiré ?
Oui, tous les artistes katangais que je trouve assez brillants. Ils mélangent quelque chose de très traditionnel, une espère d’art naïf, avec une structure et une méthode scrupuleuse, tirées des codes du pointillisme.
Vous êtes chanteur et rappeur, mais aussi directeur artistique et réalisateur de vos clips… Vous considérez-vous comme un artiste transversal ?
Tout ce que je fais est au service de ma musique. Le reste vient par extension. Quand je fais un morceau comme Unité et litre, je me projette visuellement. Je pense avant tout un morceau en musique, qui appelle des couleurs, des images, des ambiances. Mais mon moteur premier, c’est la musique. J’ai vécu huit ans au-dessus d’un vidéo club et d’un disquaire et je pense que c’est là que j’ai beaucoup appris. À l’époque pour moi, la musique se limitait au r'n'b et au rap, et grâce à ce lieu, j’ai découvert le rock, le blues, la musique africaine et beaucoup de musiques latines. Je faisais partie d’un groupe de rap, Starflam, dans lequel la moitié du groupe était d’origine colombienne. Et puis le fait de vivre au-dessus d’un vidéo club m’a permis de regarder le cinéma autrement, pouvoir apprécier des plans, des cadrages, des dialogues, au lieu d’avoir simplement une vision globale. Du coup, quand tu avances sur tes propres projets, tu réfléchis à la façon dont tu veux te définir.
C’est une esthétique ?
Une extension du propos. Par exemple, on a utilisé un procédé photo qui m’est venu d’un travail que j’adore de Jean-Paul Goude : il a photographié des Latinos dans Harlem, qui posent devant un décor de plantes tropicales. J’ai bossé là-dessus dans le clip Capture où des Congolais posent devant une boutique des Champs-Élysées, pour jouer sur les effets de projections et le rapport spatio-temporel… Je travaille comme ça : une idée en amène une autre…
Cinq ans après Kinshasa Succursale, vous sortez un EP de cinq titres, 64 Bits And Malachite. Pourquoi pas un album ?
Parce que l’EP était prêt depuis trois ans et les choses prennent un temps fou ! Et puis on a pas mal tourné, au moins 250 dates avec Kinshasa Succursale… Ensuite, on a galéré pour trouver un label, la première mouture de l’EP a été rejetée par les maisons de disques parce qu’elle ne rentrait pas dans les cases.
On en est encore là? Un rappeur belgo-congolais qui rappe sur une l’électro dopée par des riffs de soukouss, c’est hors format ?
J’espérais aussi que les choses se décloisonnaient, mais ce n’est pas encore le cas. Trop électro pour certains, trop rap pour d’autres…
C’est un EP pensé pour les clubs ?
Pas spécialement, non. J’ai voulu tenir un BPM. Les morceaux tournent autour de 123 et 127 BPM et c’est le fil rouge de l’EP, sauf sur Capture qui est le morceau de clôture, produit par Olugbenga du groupe Metronomy et avec Petite Noire. 64 Bits And Malachite, c’est une métaphore de notre époque où chaque évolution technologique qui arrive condamne la précédente et toute ma musique est faite sur des logiciels qui sont très vite périmés. Et la malachite, c’est la seule pierre précieuse congolaise qui n’a pas de valeur, exceptée affective…
Entre les périodes de composition, d’enregistrement et de tournées, qu’est-ce que vous faites ?
Je crée du contenu. J’ai aussi travaillé sur un projet de long métrage qui m’a pris deux ans et demi. Je m’étais vraiment pris au jeu à réaliser mes clips. Mais je n’assumais pas trop car je n’ai pas fait d’école. Je me considérais comme coréalisateur. Toujours est-il que le processus m’a passionné. Alors, j’ai commencé à écrire un fil narratif pour le prochain album... J’ai écrit dix pages, on m’a dit : "fais-en vingt". J’en ai écrit 130. Ça parle de sorcellerie, d’héritage, du poids du secret… J’ai même composé une BO pour ce projet avec des gens hyper intéressants, notamment Serge Kakudji de Coup Fatal. Mais quand je l’ai fait lire, on m’a dit que c’était naze, alors j’ai recommencé vingt fois. Ça m’a donné une certaine discipline dans mon travail. Je sais que les artistes aiment dire qu’ils écrivent défoncés… Je ne crois pas du tout à ça. Maintenant, j’applique à la musique la rigueur que j’ai apprise dans le cinéma : je travaille tous les jours, comme un fonctionnaire, de 8h30 à 17h30. Du coup, j’ai pu écrire deux albums, ça va très vite.
Quand sortira votre prochain disque?
Il s’appelle Avenue Kanyama et il est prêt depuis plusieurs années. J’espère qu’il verra le jour en 2016. Mais cela ne dépend pas de moi. Je sais que les gens mesurent le talent au succès. Je ne rentre pas encore dans cette catégorie. Mais on trouvera notre public à un moment donné. En tous cas, j’essaie de créer au maximum. C’est aussi ce que je chante dans le morceau Fini. Tant que tu as des idées, il faut continuer. Il ne faut pas s’arrêter.
Baloji 64 Bits and Malachite (Barclay) 2015
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