Daby Touré, le baume au cœur

Daby Touré 2012
© Emma Pick

Posté à l’estuaire de la pop, de la variété française et des musiques du monde, Daby Touré chante comme on passe un baume, pour adoucir les cœurs. Dans Lang(u)age, il confie ses souvenirs et son identité multiple en musique, et en toute intimité.

RFI Musique : Qu'avez-vous fait depuis Stéréo Spirit, sorti en 2007 ?
Daby Touré : J’ai voyagé, j’ai vu mes amis, ma famille…Il fallait que je m’arrête, j’avais besoin de savoir où j’en étais. Jamais, je n’ai eu de conflit avec la musique. Mais mon corps et mon esprit réclamaient une pause. J’avais juste besoin d’arrêter de courir partout, de faire des concerts… Au premier album, personne ne sait qui tu es, puis arrive le deuxième album et la critique commence. Je crois que ça ne m’a pas trop plu en fait, parce que je m’inscris dans une démarche personnelle et que la musique est pour moi comme une thérapie.

Une thérapie pour guérir quoi ?
Pour adoucir la vie en général ! Prendre la guitare et jouer, ça me fait du bien, mais ça fait du bien aussi aux autres, au public. Quand je parle de thérapie, ça peut faire peur, mais la musique est pour moi un compagnon de route, un refuge, un endroit précieux où l’on peut trouver la paix. Ce qui compte, c’est la sincérité, être soi même, et moi je suis simple. J’aime bien passer du temps en Afrique, manger du tiep (plat de riz, ndr), voir mes amis… Quand je pars à Dakar, je voyage jusqu’en Casamance, après je remonte jusqu’à Djeol, et je ne fais rien, je profite seulement. Et ma musique, elle est comme ça. J’essaie de rester dans la simplicité, par choix.

Dans cet album, vous vous êtes entouré notamment de paroliers. Il y a des collaborations pas anodines….
C’est eux qui m’ont choisi. Je jouais, et Maxime Le Forestier est venu me voir, et il m’a dit "passe me voir à la maison" et on a passé un après-midi à boire le thé et à discuter. Mon histoire l’a intéressé et il m’a écrit un texte, c’est Chez les autres ! Toute ma vie s’est passée comme ça ! Tant qu’on est sincère je pense qu’on peut toucher les gens. Cela a été la même chose pour Abir Nasraoui, Marc Estève…

Le premier morceau du disque, Chez les autres, fait référence à votre histoire, est ce qu’il y a d’autres morceaux qui vous racontent dans l’album ?
Lang(u)age raconte l’histoire de mon grand-père qui est parti du Mali jusqu’en Casamance où il a fondé une famille. La sécheresse l’a poussé à s'en aller parce qu’il était cordonnier et qu'il avait besoin de peaux : elles se faisaient de plus en plus rare à Kayes. Il s’appelait Daby aussi. Il est décédé en 1958, à presque 80 ans. Son parcours est proche de ce que je vis aujourd’hui. Bien sûr, toutes les langues chantées dans le disque racontent aussi mon parcours, et c’est pour cela que l’album s’appelle Lang(u)age. Quand j’étais petit, à 3 ans, mes parents se sont séparés, et j’étais confié à des gens que je ne connaissais pas, j’ai voyagé du désert de Mauritanie, à la Casamance, au sud du Sénégal. Je parle donc l’arabe mauritanien, le wolof, le pular, le soninke, puis le français et l’anglais, pour comprendre et être compris. Toute ma vie, je me suis adapté.

Dans Papillon, vous êtes en duo, avec votre père, Hamidou Touré (membre des Touré Kunda, ndr). Une première ?
Oui, et ce duo est très symbolique car mon père ne voulait pas que je fasse de la musique. Ça a été très difficile entre nous dans le passé. On a fait une chanson sur le village dans lequel on a grandi tous les deux : Djeol, au sud de la Mauritanie.

Comment l’avez-vous convaincu ?
Il ne voulait pas en entendre parler pendant des années. Le jour où je suis venu à Bercy avec Peter Gabriel, j’ai joué quinze minutes tout seul devant des milliers de spectateurs. Je descends de scène et je le vois, il pleurait. Je pense que c’est ce jour-là qu'il a été convaincu.

Est-ce que vous aviez prévu ce que vous alliez chanter ensemble ?
Non. Je lui ai rappelé quelques souvenirs : je me rappelle des tenues colorées des femmes pendant les baptêmes, quand on allait au fleuve pour se baigner tous les jours, des grandes fêtes sur la place du village, je me rappelle de la nuit, quand on enlevait la femme du nouveau marié pour la dot… Et lui, il arrivait à la fin pour me dire, "oui tu as raison, je me rappelle de ça aussi, et je constate que tu as fait un long chemin, tu n’as pas oublié d’où tu viens". Et il a fini par dire, "tu es un bon fils, je suis fier de toi". C’était très touchant.

Depuis les années 80 et Touré Kunda, est-ce que le regard qu’on porte sur un artiste africain a changé ?
On reste toujours catalogué. Dès qu’on chante dans une autre langue que le français ou l’anglais, on est "world music". Moi, je n’ai pas l’impression d’appartenir à un monde plutôt qu’à un autre. Concrètement, ma musique représente ce que je suis : plusieurs langues, des voyages, des rencontres. Je viens de Mauritanie, je vis en France, c’est mon pays d’adoption, et j’ai l’impression de faire une musique unique, je ne veux pas qu’on me mette dans un moule !

Daby Touré Lang(u)age (Polydor) 2012
En concert à la Maroquinerie à Paris le 28 juin 2012