YaoBobby, croire à une Afrique qui gagne
Pour son premier album solo, YaoBobby raconte ses Histoires d'un continent, son continent : l'Afrique. Le rappeur togolais produit un album qui lui ressemble, douze titres mêlant la limpidité de la kora à un flow déterminé. Ses textes appellent à la révolution, mais dans la vie, c'est loin d'être un énervé : rencontre paisible à Lomé avec un rappeur engagé, mais pas enragé.
Quelques coups de téléphone, et le rendez-vous est pris "On se retrouvera devant la poste de Kodjoviakopé, c’est mon quartier, c’est là que j’ai grandi…" Mais YaoBobby n'arrive pas seul : son frère et deux amis l'accompagnent, dont King Lion, un membre du collectif de rappeurs Djanta Kan, qu'ils ont créé en 1996. Dix minutes de marche, et nous voici arrivés devant une petite buvette, Lyne Cool Place : "Ici, je suis chez moi. Quand on était ados, on passait beaucoup de temps ici, pour écouter du son, discuter, composer... " YaoBobby et ses amis s'installent, tout le monde reste pour l'interview, comme une évidence.
YaoBobby a beau sortir un album solo, il a encore du mal à s'exprimer à la première personne du singulier. Difficile pour lui de parler de son rap sans évoquer Djanta Kan, premier groupe de rap togolais et moteur du hip hop local. "On a découvert le hip hop au début des années 1990. On a commencé à rapper ensemble et on continue... On vient juste d'organiser la 3e édition du festival de hip hop Cité K Show, qu'on a entièrement produit et financé... Même si on mène des projets en solo, Djanta Kan reste actif."
Il n'empêche, Histoires d'un continent est un album très personnel, qui lui ressemble. On y retrouve ses thèmes de prédilection, la corruption, la mal-gouvernance, les inégalités sociales... "Mon rôle en tant qu'artiste, c'est de dénoncer les choses qui me révoltent, dire ce que je pense. Les artistes sont la voix des sans-voix, et dans un pays comme le Togo c'est encore plus important qu'on n'ait pas peur de dire les choses."
Dans le titre Camp de réfugiés, YaoBobby s'expose, en racontant pour la première fois un épisode douloureux de son adolescence, étroitement lié à l'histoire politique du Togo : son exil forcé au Ghana en 1992.
Le prix de l'exil
Une année de troubles au Togo : manifestations, grève générale, et répression violente par le régime de Gnassingbé Eyadéma. Dans le quartier de Kodjoviakopé, populaire et donc réputé agité, les jeunes sont tabassés, traqués jusque dans les écoles : "les militaires entraient dans la cour du collège et tiraient en l'air… On vivait dans la terreur au quotidien, tous les jeunes étaient perçus comme une menace pour le régime".
Alors les parents de YaoBobby le font partir, pour le protéger : son père lui donne un peu d'argent, et l'accompagne jusqu'à la frontière ghanéenne, aux portes de Lomé. Un billet glissé aux douaniers, et YaoBobby se retrouve seul dans un pays étranger, à 13 ans. "Tu sais, en Afrique, l'enfance... ça ne dure pas longtemps. On t'apprend très vite à te débrouiller, à être indépendant."
Il passe 3 mois dans le camp de réfugiés de Satimadja, puis il réussit à économiser assez d'argent - en vendant des condiments sur le marché - pour prendre le bus jusqu'à Accra, où vit sa sœur avec son mari et ses enfants. Encore 3 mois à Accra, puis retour à Lomé, enfin. Ces six mois d'exil solitaire ont marqué sa vie à jamais.
"Après avoir vécu ça, je n'avais plus envie d'aller à l'école, je pensais que ça ne servait plus à rien, je n'avais plus d'espoir... J'ai arrêté en 5e, et c'est mon seul regret aujourd'hui, c'est pour ça que je parle souvent de l'école dans mes chansons... Pour que les jeunes ne fassent pas la même erreur que moi. Mais beaucoup de Togolais n’ont pas les moyens de mettre leurs enfants à l’école, et c’est ce qui freine notre développement ! Il faut mettre plus d’argent pour l’éducation, rendre l'école gratuite. Ça devrait être le secteur prioritaire !"
Près de la moitié de la population togolaise a moins de 18 ans... Sans hésiter, YaoBobby parie sur la jeunesse pour assurer un meilleur avenir à son pays. Déçu par les politiques, il pense que le changement ne peut venir que du peuple, et au fond, de la rue. La révolution, 5e titre de l'album ? "Oui, c'est la seule solution ! Les élections truquées, la corruption, la violence, on en a tous marre, mais on ne fait rien. C’est ce que je dis dans la chanson J’accuse : nous sommes tous responsables de la situation du Togo, et plus largement de l’Afrique ! Pour que demain, on vive dans une Afrique qui gagne, c’est à nous de prendre les choses en main, de se bouger pour changer les choses !"
Ses amis rigolent, un peu gênés : "Tu vas loin là..." Depuis qu'il a commencé la promotion de l'album au Togo, YaoBobby est souvent mis en garde pour ses propos très critiques vis-à-vis du pouvoir togolais : "C'est bien la preuve qu'aujourd'hui encore, rien n'a vraiment changé, il n'y a toujours pas de liberté d'expression... Mais moi, je m'arrange toujours pour dire ce que j'ai à dire, et je compte bien continuer !".
En portant ses Histoires d'un continent au delà des frontières africaines, YaoBobby poursuit son combat, et il compte bien faire entendre la voix du Togo. Sa manière à lui d'insuffler un esprit de changement auprès de la jeunesse africaine.
YaoBobby Histoires d'un continent (Les Changeurs/Talent Edition RFI) 2011