Le charismatique Pipo de Kassav' sort sur le marché français et international sa première compilation de trente ans d’albums solo, Pipo’l, augmentée de quelques titres nouveaux. Un portrait finalement inattendu d’un des plus grands chanteurs antillais.
Jamais ? Eh non ! Jamais n’était sortie une compilation des grands succès en solo de Jean-Philippe Marthély. Et, comme s’il estimait que ne suffisait pas cette idée d’un best of après une trentaine d’années dans les sommets de la musique antillaise, il l’agrémente de cinq titres inédits, dont le tubesque Coco bo nini et le très événementiel Ayan pa kon avan, trio avec E.sy Kennenga et Wilfried Bedacier.
Son répertoire avec Kassav' touche toutes les facettes du savoir collectif du groupe fondateur du zouk : la romance avec Se pa djen djen jusqu’au zouk chiré comme Sé dam bonjou ou Zot’ vini pou, le lien avec bèlè traditionnel avec Masoupwel-la, les chansons de carnaval comme Rara, les échos du konpa avec Kobay… Et si le public métropolitain ne le connait pas aussi bien que Jocelyne Béroard et Jacob Desvarieux, tous les spectateurs des tournées du groupe savent depuis des décennies sa puissance charismatique en scène.
Premiers pas
Jean-Philippe Marthély entre dans Kassav’ en 1981 avec le troisième album, celui du décollage commercial du groupe aux Antilles, celui dans lequel Jacob Desvarieux chante en voix leadSoukougnan, contre l’avis du producteur du groupe qui pense qu’il ne sait pas chanter et ne séduira jamais le public "au pays".
Autre indice du caractère hétérodoxe du groupe créé par les frères Décimus et Desvarieux : Jean-Philippe Marthély est retenu bien qu’il ne s’est présenté à l’audition que pour assurer les chœurs de son copain Jean-Paul Pognon, vedette montante du groupe Opération 78, créé par Simon Jurad. Pendant qu’ils sont au micro, Pierre-Édouard Décimus est frappé par l’abattage de Marthély. Il engage les deux copains. Avec eux, Kassav' devient un groupe antillais, puisqu’ils sont martiniquais et prennent place dans un projet créé par trois Guadeloupéens. Mais Jean-Paul Pognon ne va pas s’attarder dans Kassav’.
En revanche, Pipo s’impose comme un personnage indispensable en studio, puis sur scène. Avec le Guadeloupéen Patrick Saint-Éloi, il forme un duo d’ambianceurs extraordinaires. Marthély fait se baisser, se relever, lever les mains, sauter des foules de plus en plus immenses. Il invente des slogans que le public reprend en chœur et qui deviennent comme des mots de passe kassavienes, comme son fameux "asipipi !"
Inventeur du zouk love
Pourtant, l’homme privé, s’il peut être fêtard, est plutôt timide et plus porté à la sagesse qu’à la folie effrénée. D’ailleurs, c’est lui l’inventeur du zouk love, cette version ralentie et sentimentale du zouk, que Patrick Saint-Eloi portera à des sommets en devenant le crooner n° 1 de Kassav’. Mais c’est bien Bel kréati, en 1985, qui est le premier zouk love de l’histoire. Et il faudra la sortie de son premier album ouvertement dévotionnel, Kouté, en 2012, pour qu’apparaisse au grand jour une dimension majeure de sa personnalité : Philippe Marthély est un chrétien fervent.
Cet homme engagé est non seulement celui qui a peut-être le plus frénétiquement profité de la liberté que laisse Kassav' à ses membres d’enregistrer des disques en solo, dont les tubes viendront ensuite grossir le répertoire collectif (Rété, Bel kréati, Zioum, La Prié doulè, Si sé taw, Zam zam…) mais aussi un artiste généreux qui, pendant des années, organise des dimanches récréatifs pour des enfants handicapés, auxquels il fait venir la plupart des stars antillaises. Et c’est un entrepreneur, qui conserve une équipe de production et des musiciens réguliers pour ses propres concerts et tournées, pendant les périodes de repos de Kassav'.
Aussi les Antilles ont-elles connues peu de saisons depuis une trentaine d’années sans gros succès de Jean-Philippe Marthély. La compilation Pipo’l (parue en Martinique et Guadeloupe peu avant Noël, et arrivant maintenant en Europe et en Afrique) fait donc le compte de ses gloires, mais sans trop peser sur la pente du héros du wélélé sans nuance. Il préfère insister sur la large bonhommie, l’énergie de fond, la précision émotionnelle, la souriante innocence du zouk – comme avec Mystè la via, beau duo avec son ami Patrick Saint-Éloi, mort en 2010. Finalement, c’est presque autant un regard rétrospectif sur une carrière de star du zouk que l’annonce de ce que Jean-Philippe Marthély a envie d’être désormais. Un best of programmatique…