Régis Gizavo et le Far West malgache
Accordéoniste altruiste et adepte des échanges équitables, Régis Gizavo, lauréat du prix RFI Découvertes 1990, montre avec son album Ilakake qu’il possède cette même aptitude à ouvrir la musique malgache à d’autres influences qu’à trouver sa place dans les univers de ceux qu’il a accompagnés, comme Christophe Maé ou le regretté Mano Solo.
RFI Musique : L’avion qui figure sur la pochette de l’album nous emmène vers votre île natale, Madagascar, mais fait d’abord escale au Brésil, avec un premier morceau dédié à ce pays. Qu’est-ce qui vous a marqué là-bas ?
Régis Gizavo : La chaleur humaine. C’était mon premier voyage au Brésil. J’avais été invité par le chanteur Lenine pour un festival à São Paulo. Quand les gens entendent le forró, ils sont heureux et ils dansent. Moi aussi je viens d’un pays tropical et c’est comme ça que ça se passe chez moi. Par exemple, à Tuléar, quand les gens entendent un orchestre – trois guitares et une batterie – faire la balance en plein air avec un son saturé, parce qu’il n’y a pas assez de puissance sur le haut-parleur, ils se mettent à danser sur place. C’est une vibration. C’est gratuit mais nécessaire.
Pourquoi avoir donné à votre album, Ilakake, le nom d’une ville champignon qui a poussé sur le bord de la route nationale dans le sud de Madagascar, après avoir trouvé du saphir dans les environs ?
Avant, quand les mines n’avaient pas encore été découvertes, j’ai le souvenir de dix petites maisons, un bon resto, un cours d’eau très propre, en bas. On s’arrêtait là pour se ressourcer, prendre l’énergie de la région, manger un morceau. Ça me faisait toujours du bien. Maintenant, c’est le Far West. La ruée vers le saphir. Tout le monde se flingue. Il y a un aéroport clandestin, une boîte de nuit... Toutes les nationalités du monde sont là – comme d’habitude quand il y a l’argent. Pour moi, c’est catastrophique. J’espère qu’un jour, quand ils seront partis après avoir trouvé ce qu’ils cherchaient, Ilakake retrouvera sa tranquillité.
Vous êtes en France depuis une vingtaine d’années, vous avez travaillé pour des groupes et artistes aussi divers que Cesaria Evora, I Muvrini, Christophe Maé, Mano Solo… Que reste-t-il de malgache dans votre musique ?
La langue. L’âme des compositions, l’inspiration. Je suis content parce que je me suis retrouvé dans cet album, bien que mes invités viennent d’univers différents : l’harmonica de Greg Zlap, les tablas d’Edouard Prabhu, la guitare saturée de Daniel Jamet, la voix de Julia Sarr… C’est le fruit de tous mes voyages, de tous les sons que j’ai entendus et rêvé d’intégrer dans la musique. Mais ça ne se décrète pas : il faut que ça entre naturellement dans le cadre, et trouver les gens qui peuvent le faire. J’avais tout en tête, mais je n’écris pas la musique, donc il peut y avoir des accidents. Le résultat, parfois, est surprenant, même pour moi. Quand on échange, on perd quelque chose et on gagne autre chose. Si c’est naturel, c’est équitable, et ça ne se discute pas.
Lorsque vous vous produisez sur scène, vous faites souvent en sorte de présenter Madagascar à travers vos chansons. Avez-vous l’impression d’avoir toujours le drapeau malgache derrière vous ?
Il ne me lâche pas. Je vis ici (ndlr : en France) mais je souffre avec les gens qui sont là-bas. Je vois ma famille, comment elle doit faire pour aller à la fin du mois. Je vois les forêts décimées, la pollution causée par des compagnies minières qui se sont installées…. Je suis impuissant. Triste. On assiste à des choses qu’on ne peut pas accepter. Notre culture est la seule richesse qu’on ne peut pas nous enlever. Et je dois beaucoup à ma tradition parce que c’est ce qui a fait que je suis reconnu en tant que musicien. Quand je fais une note, une chanson, ça m’arrive souvent d’être là-bas.
Vous avez presque toujours les yeux fermés quand vous jouez. Pour quelle raison ?
Je ne sais pas dire pourquoi. Ce n’est pas une abstraction d’un public, ou d’un lieu, mais pour être en soi-même. Mais je commence à les ouvrir, je fais l’effort ! Ma femme m’a dit : Régis, tes yeux sont là !
Le lancement de votre nouvel album a eu lieu dans le cadre du festival des Nuits de Nacre, à Tulle, dont vous étiez le fil rouge. Comment s’est déroulée votre association d’un soir avec Manu Dibango ?
C’est la première fois que nous nous sommes rencontrés. On s’est vus avant le concert et on a décidé de faire trois titres : une de ses compositions dans laquelle j’interviens, puis l’une des miennes où je suis accompagné par son orchestre et ensuite on a fait ensemble L’Auvergnat de Georges Brassens. Musicalement, on s’entendait bien. Le public l’a senti. J’espère qu’on va continuer sur un projet commun.
Régis Gizavo Ilakake (Cinq planètes/L’Autre Distribution) 2012