Ras Natty Baby, seggae rédemption

Ras Natty Baby
© DR

L’interruption aura duré dix ans. Une période de recul obligé pour Ras Natty Baby, celui qui avait porté aussi loin que possible le rythme hybride du seggae mauricien dans les années 90. Tour à tour victime puis coupable, le chanteur vient de reprendre le chemin du studio et des scènes avec une faim de musique à la mesure de cette liberté dont il a été si longtemps privé.

La Résurrection. Le titre du nouvel album de Ras Natty Baby sonne presque comme une évidence, au regard des événements que le chanteur vétéran a traversés. Retour en avril 2003 : quand l’auteur de Nuvel Vision, tube à dimension régionale datant de 1990, est inculpé de complicité d’importation de drogue et incarcéré, la nouvelle claque comme un coup de tonnerre dans le ciel du seggae, cette variante mauricienne du reggae.

 
Avec Kaya, roi incontesté du genre et martyr de la cause, mort en prison en 1999, il est le cofondateur de ce mouvement autant sociétal que musical. Il clame son innocence, mais ne recouvre la liberté qu’au bout de 42 mois, faute de preuves. La joie cède vite la place à l’incompréhension, assommante : huit mois plus tard, le quinquagénaire est arrêté à Port-Louis, la capitale, en possession d’héroïne – la petite île aux plages de rêve occupe la première position du classement des consommateurs d’opiacés en Afrique, selon l’ONU. En décembre 2009, le jugement tombe : trente mois de détention.

"Y aura-t-il des gens encore pour m’écouter ?" s’est demandé Ras Natty Baby durant cette période. Conscient que sa crédibilité serait forcément atteinte, il voulait aussi prouver qu’il n’est pas "le monstre" parfois décrit. L’amertume affleure au détour d’une phrase, que ce soit dans Born Again ("Des rumeurs ont été propagées à mon sujet", chante-il en anglais) ou La Résurrection ("Tous mes amis m’ont abandonné, même ma famille m’a rejeté"), tandis que sur Paradi Brile, interprété en créole, on devine qu’il se sert de son expérience pour mettre en garde contre les ravages de la drogue et demontre aussi les liens avec la corruption et le pouvoir : "Là bas dans l’île Maurice, les loups sont déguisés en moutons."

 
Pour ne pas plomber l’ambiance, ni céder à la facilité du règlement de compte stérile, Baby apporte une touche de légèreté avec trois titres conçus dans un moule musical qu’il a baptisé rodska : du ska comme on le fait en Jamaïque avec ce côté sautillant, agrémenté d’un accordéon à la sauce de Rodrigues, "gros caillou" dont il est originaire, situé à 600 kilomètres de Maurice. Une recette à affiner, pour éviter l’aspect musette Danse des Canards du titre Rodska, mais qui fonctionne déjà bien sur Rod Jam Vibes.

Si la scène mauricienne s’est enrichie de nombreux groupes talentueux durant l’absence forcée de Ras Natty Baby, cet album autoproduit qui marque son retour ne laisse aucun doute : il possède un savoir faire que les autres n’ont pas, en particulier sur le plan musical, pour arranger et faire sonner ses chansons, son écriture faussement naïve et ses mélodies évidentes. Avec une démarche, une réflexion destinées à amener son seggae et son reggae de l’océan Indien, le plus loin possible.

Ras Natty Baby La Résurrection 2012
La page facebook de Ras Natty Baby

A lire aussi
Le nouveau reggae vient de l'océan Indien (le 25 février1999)