La formule artistique développée par Julia Sarr sur son nouvel album sort des sentiers battus : invitant des pianistes comme Bojan Z, Jean-Philippe Rykiel ou Mario Canonge, la chanteuse met en avant sa voix qu'elle a souvent fait entendre en tant que choriste pour des artistes tels que Lokua Kanza ou Christophe Maé.
Un baobab et un piano : l'image évocatrice a servi de canevas à Julia Sarr pour élaborer son album Daraludul Yow. Un rêve, mais aussi un défi, car la chanteuse était consciente que cet instrument reste associé à la culture occidentale et qu'il lui faudrait donc vaincre quelques clichés persistants, même si elle rappelle que Ray Lema, Cheick Tidiane Seck ou encore le projet Retour à Gorée de Youssou N'Dour ont déjà commencé à enfoncer ces frontières mentale.
"Le piano m'a toujours attirée", reconnaît-elle. Il y en avait un, d'ailleurs, "hyper désaccordé, tout abimé, avec l'ivoire tout jaune", qui trônait chez sa grand-mère à Banjul, en Gambie. Elle parle aussi d'un oncle organiste d'église mais les souvenirs musicaux de son enfance au Sénégal la guide davantage vers les kiosques à musique du marché Sandaga, à Dakar, d'où s'échappait la voix de Youssou N'Dour, la première qui l'ait marquée.
Lorsqu'elle s'est lancée en 2008 dans la préparation de Daraludul Yow au sortir de sa longue tournée avec le guitariste Patrice Larose pour leur album en commun Set Luna, Julia voulait exprimer sa musique, sans devoir faire les concessions liées au duo. Tout en reprenant en parallèle sa carrière de choriste, cette fois dans l'équipe de Christophe Maé, pendant cinq ans. "Il laisse de la place à ses musiciens", explique-t-elle, louant la créativité et l'attitude altruiste du chanteur qu'elle décrit comme un amateur des musiques du monde.
Sur scène, il connait aussi des "ficelles" dont elle s'est inspirée pour travailler ses propres chansons pour les concerts. La plupart de celles qui figurent sur le disque sont nées durant les six années de "gestation" de l'album, sauf Nawna qui date de 1994 et que Lokua Kanza avait composée pour la jeune Sénégalaise. "Ça parle du Rwanda, parce qu'à l'époque, on a beaucoup pleuré, on a été traumatisé par ce qui se passait".
Pendant douze ans, elle sera au micro à ses côtés, "subjuguée" par le talent du Congolais. "C'était une belle planque", sourit Julia. Profiter de la lumière projetée sur les autres convient à son tempérament. Etre devant n'a jamais été son objectif et se mettre au service d'un artiste, de sa matière première, ne la dérange en rien.
Dans la fonction de choriste, elle voit surtout le moyen de développer sa voix. "On dirait que tu connais mieux les chansons qui passent à la radio que tes leçons", lui avait dit son père quand elle avait treize ans, peu de temps après son arrivée en France, alors qu'elle était dans un internat public du 16e arrondissement de Paris.
Longtemps, elle a considéré que chanter était "juste un hobby" et qu'"on ne pouvait pas vivre de la musique" . Mais l'étudiante à la Sorbonne change d'avis quand elle découvre les studios parisiens où l'emmène le Camerounais Georges Seba qui dirige la chorale gospel dont elle fait partie.
Les albums sur lesquels il faut poser des voix s'enchaînent : de la variété française, de la musique africaine – en particulier les productions d'Ibrahima Sylla –, du zouk... "En une soirée, je gagnais l'équivalent d'un mois de baby-sitting", confie-t-elle. Dans la foulée, elle accompagne Tony Allen, le batteur de Fela, puis passe en 1990 une audition pour Michel Fugain, en quête d'un retour au premier plan. Quatre semaines à l'Olympia. "On partait à la maison avec la clé de la loge", se souvient la chanteuse qui dit avoir appris "tous les soirs", et vibre autant pour Joni Mitchell que pour sa compatriote Yandé Codou Sène. Un "grand écart" illustrant ce côté "infini" du chant qui l'attire tant.
Julia Sarr Daraludul Yow (Julia Sarr/L'autre distribution) 2014