Le trompettiste allemand Volker Goetze et le joueur de kora sénégalais Ablaye Cissoko célèbrent une décade d’amitié, avec un nouvel album en toute intimité, Djaliya. Explications.
RFI Musique :Après dix ans de compagnonnage artistique, un premier bilan ? Ablaye Cissoko : Avec Volker, le compagnonnage qui existe en fait depuis 2001, forge naturellement des liens au-delà de la musique. Je suis allé à l'autre, avec ma culture et mon patrimoine musical en bandoulière. Sans appréhension. Il est certain qu'un échange soutenu laisse des traces indélébiles, on s'enrichit mutuellement. Après plus de dix ans de collaboration, la production de trois albums, on ne peut qu'être satisfait de ce duo. Ce n'est plus une association, ni une juxtaposition, c'est une synthèse.
Volker Goetze : Chaque disque représente quelque chose de spécial. Enregistré à Saint-Louis du Sénégal, Sira célébrait notre rencontre, même si nous sommes très vite allés dans une profondeur de sentiments insoupçonnée ! Ce que Amanké Dionti a confirmé, en renforçant la dimension acoustique et spirituelle de notre musique puisque nous l’avions enregistré dans une église en bois, à Paris. A partir de là, notre public a grandi. Au fil des nombreux concerts, nous avons testé peu à peu les morceaux qui composent Djaliya.
Justement, pourquoi avoir choisi ce titre : Djaliya, c’est-à-dire "le chant" ?
AC. : Je suis l'héritier d'une tradition dans laquelle le chant avait une mission spécifique : rappeler les vertus et les qualités requises chez tout homme ayant l'ambition de guider ses semblables. Le chant avait donc une mission sociale que je dois préserver, entretenir et révéler au monde actuel.
Jouer avec la trompette a-t-il modifié votre jeu à la kora ?
AC. : La musique est un langage, une conversation : chacun apporte sa réalité du moment. Il faut juste que tous aient la générosité et l'envie de rendre cet échange agréable et aient aussi la grosse ambition de le partager. L'instrument n'est qu'un outil utilisé avec plus ou moins d'habileté. Mais, incontestablement, j'écoute différemment la trompette.
Et inversement, que vous apportent les échanges avec Ablaye ?
VG. : Je suis tout autre depuis dix ans. Arrêter de suivre la pensée académique qui vous dit quoi jouer ou ce qui est supposé avoir de la valeur ou non, a été un soulagement. La force de la musique folklorique se trouve dans sa propre limite : vous allez directement à ce qui est vraiment important - particulièrement quand votre cosmos physique existe à partir de 21 notes !
Vous abordez des thèmes plus politiques. Est-ce le rôle d'un griot ? d'un musicien ?
AC. : La tradition orale est encore vivace dans cette partie de l'Afrique de l'Ouest. J'ai appris de mon père, qui a reçu du sien, les codes d'honneur qui ont rythmé la construction de nos sociétés. Nous sommes les dépositaires des valeurs culturelles qui organisent et déterminent la cohésion sociale du pays. Il est donc normal que le griot appelle et interpelle les acteurs sociaux chaque fois que les codes de conduite sont bafoués, agressés durablement par les élites. Ce n'est pas faire de la politique que de rappeler notre héritage commun, ces vertus cardinales qui sont le socle de notre pays.
VG. : Ce disque représente un sommet s’agissant de la dimension sociale des paroles d'Ablaye. Depuis notre première chanson – Faro sur Sira – où je lui ai demandé d'écrire des paroles évoquant la question environnementale, nous avons parcouru le monde et nous passons pas mal d'heures à parler de mondialisation, racisme structurel, pauvreté, corruption, Wall Street… Nous avons voyagé à New York, Los Angeles, en Tunisie, à Copenhague, Oslo, Paris, et partout, nous avons rencontré tout type de public sur lequel notre art agit. Il s’agit d’essayer de donner un peu de soulagement et d'explication à beaucoup de choses qui sont inexplicables. Les Grecs savaient que la musique peut expliquer ce que la logique ne peut pas. Nous avons pour responsabilité de stigmatiser l'injustice. Aujourd'hui, trop de gens veulent juste être distraits en tournant autour d’Internet, mais trop peu se consacrent à faire quelque chose avec amour, pour donner à autrui.
Comment regardez-vous la situation politique de la sous-région ?
AC. : La mondialisation et les différentes crises qui ont secoué l'économie mondiale ont eu des répercussions néfastes sur les conditions de vie des populations de cette partie du monde. Les politiques proposées par les institutions de Bretton Woods ont aggravé la fragilité des économies de l'Afrique de l'Ouest. Face à une situation si difficile, nos dirigeants n'ont pas souvent les moyens suffisants pour inverser la tendance. L'Afrique a besoin d'un Plan Marshall conséquent pour s'en sortir.
Ablaye Cissoko et Volker Goetze Djaliya (Ma Case / L’Autre Distribution) 2014
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Site officiel d'Ablaye Cissoko
Site officiel de Volker Goetze
Concerts :Les 13 et 14 novembre au Zèbre de Paris