Le cahier musical de Dominik Coco
Formé à l’école du gwo ka traditionnel et de son poids culturel, avant de passer du côté du zouk dans les années 90 avec le groupe Volt-Face qui l’a révélé, le chanteur guadeloupéen Dominik Coco affirme et assume cette identité culturelle à géométrie variable. Sur son quatrième album solo intitulé Dans la calebasse de mon île, il partage ses chansons avec Esy Kennenga, Jocelyne Beroard ou encore Fred Deshayes. Rencontre.
RFI Musique : le titre de votre album fait référence à un passage du Cahier d’un retour au pays natal, que vous veniez de relire. Pourquoi aviez-vous rouvert cet ouvrage d’Aimé Césaire?
Dominik Coco : Pour essayer de le comprendre ! Ce n'est pas un livre qu'on lit une seule fois. On ne peut pas tout saisir d'un coup, mais petit à petit, au fil de l’âge. Il y a des bouquins comme celui-ci, qui font partie de notre bibliothèque et qui sont des livres de chevet. Pour moi, c’est comme si l'essentiel était dedans : c'est un poème qui a lancé une forme de revendication. Et cela se concrétise aujourd’hui notamment par la commémoration de l’abolition de l’esclavage en Martinique qui doit avoir lieu ce 23 mai à Paris. Sans ce poème, sans ce cri, on n'en serait peut-être pas arrivé là.
Quelle était l’idée de départ de ce nouvel album ?
Les chansons se font sans qu’il y ait forcément une idée de départ. Pour moi, c'est plus naturel. Même si au final on réalise qu’il y a un lien entre tout ce qu’on a fait. Après l’album Lespri Kasksod et les deux années de tournée qui ont suivies, la première chanson de ce nouveau disque a été composée le soir de la naissance de ma fille, en rentrant à la maison. Je l'ai écrite d'un trait, et ça m'arrive rarement. En général, je prends beaucoup de temps pour écrire. Ça a servi à lancer le projet. Dans la calebasse de mon île est venue à la fin. Je me suis rendu compte que cet album est un peu plus personnel que Lespri Kaskod, qui était davantage dans l’ouverture, la world music. "Dans la calebasse de mon île", c'est un peu "dans mon intimité".
Est-ce en cours de route que vous avez pensé à travailler, au micro ou à la réalisation, avec des artistes différents comme Fred Deshayes de Soft, Esy Kennenga… ?
Une fois que les chansons sont là, avec ma guitare, je prends du temps pour savoir comment je vais faire. Mais chaque fois, je procède différemment : pour le premier album, c'était Georges Décimus qui était à la réalisation. Sur le deuxième, comme j'avais envie d'avoir un groupe, j'ai travaillé avec mes musiciens les idées de chansons qu'on avait répétées, construites en répétition. Ensuite, pour Lespri kaskod, j'ai voulu collaborer avec Jeff Baillard : c'est un très grand guitariste martiniquais qui a accompagné entre autres, Salif Keita, et qui m'a permis de rencontrer Mamani Keita, que j’avais invité sur l’album. Cette fois, j'ai voulu bosser avec des gens que je connais depuis longtemps, mais avec qui je n'avais jamais vraiment travaillé. Le but est que, d'un album à l'autre, ça ne se ressemble pas. Même si on me le reproche. C'est ainsi que je conçois les choses.
Vous avez travaillé en partie dans le studio monté à l’origine par Henri Debs, le producteur emblématique des Antilles décédé en 2013. Est-ce pour l’équipement matériel qu’on y trouve ou pour l’aspect immatériel qui habite ce lieu ?
Forcément les deux. C’est un endroit qui est mythique. C'est l'histoire de la musique guadeloupéenne. D’ailleurs, en feuilletant le bouquin que Monsieur Debs a publié (Mémoires et vérités sur la musique aux Antilles, ndlr), on a toute l'histoire de la musique contemporaine guadeloupéenne. Je n'ai jamais été un des artistes qu’il a produits, mais on a eu l’occasion d’échanger lorsque j’étais venu dans son studio pour l’album précédent, Lespri Kaskod. Je suis très sensible aux vibrations. Donc quand je suis dans un tel lieu, je pense à ceux qui y sont passés et je ressens tout ça. Comme lorsque je suis allé au Bénin et que j’avais la sensation d’être en relation avec mes ancêtres.
L’Afrique vous a-t-elle toujours attirée ?
Ça m'a toujours intéressé, parce que je fais partie de ceux qui la sentent en eux. L'éducation du gwo ka nous a donnée inévitablement l'amour de l'Afrique. Comme l'éducation rasta pour ceux qui embrassent ce concept. Les deux sont d'ailleurs très liés. Quand on est jeune, on a une vision un peu lointaine de l’Afrique, même si on l'aime, mais quand j’ai rencontré des Africains en métropole, étudiants comme moi, j’ai commencé à tisser des liens.
A quelle occasion vous êtes-vous rendu pour la première fois sur le continent africain ?
Dans le cadre du festival Gospel & Racines, en 2004. J'ai eu la joie de jouer au Bénin, une terre qui a des liens avec les Antilles, car, parait-il, nombre d'esclaves partaient de là. J’ai assisté à une manifestation de tambours, et j'ai vu Haïti, qui est pour moi la plus africaine des îles de la Caraïbe. En regardant les gens danser et j'ai reconnu la musique vaudou d'Haïti. Pour moi, c'était comme un pèlerinage.
Dominik Coco Dans la calebasse de mon île (Don's music) 2016
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