1995 : Demain, c’est loin (mais mieux qu’hier)

1995 : Demain, c’est loin (mais mieux qu’hier)
© Jonathan Mannion

C’est le groupe rap de l’année 2011 selon les auditeurs de Skyrock, alors qu’aucun de leurs titres n’est joué sur cette FM au format "rapologique"... Un des nombreux paradoxes entourant 1995 (prononcez "Un Neuf Neuf Cinq" ou "Un Double Neuf Cinq" sous peine de passer pour le dernier des ringards), dont le dernier EP, La Suite, a rencontré un succès populaire immédiat.

Des millions de clics sur Youtube, un flow qui regarde dans le rétroviseur du rap français de l’âge d’or, mais pas de passéisme ni de nostalgie. Normal : Nekfeu, Alpha Wann, Areno Jaz, Sneazzy, Fonky Flav’ et le DJ Lo’ suçaient encore leur pouce en 1995, quand le Wu-Tang Clan triomphait, que La Cliqua rappait Requiem, qu’Alliance Ethnik cherchait le Respect et qu’Akhenaton n’avait pas de face.

Nés du buzz
 
"La Cliqua, La Haine, le Wu-Tang, c’était ça, l’année 1995 : les mecs étaient jeunes comme nous, ils s’en foutaient comme nous, c’était freestyle" disait Alpha Wann à Thomas Blondeau en juillet dernier, quand 1995 était le groupe mis à prix par les majors du disque. Un phénomène rare dans le rap français en cette époque de crise durant laquelle les rappeurs d’ici se font plus facilement rendre leur contrat qu’ils ne s’en voient proposer un nouveau. C’est finalement Polydor qui a emporté le morceau, et qui a sorti voilà quelques semaines La Suite, suite logique de La Source, un EP autoproduit qui avait confirmé le buzz du net.
 
Pourtant, l’erreur serait de croire que le nouveau EP a changé le son ou les ambitions de 1995 : huit titres comme sur La Source, et le même goût pour les "kickage de mic", les punchlines bien trouvées ("On a des liaisons dangereuses comme Glenn Close") et l’ego trip désinvolte. Le son reste basique, efficace, sans les boursouflures de ce rap français pompier qui convoque volontiers les violons et les machines de guerre. Sans ostentation, 1995 arrive malgré tout à aborder des thèmes sérieux, comme sur ce Taille de guêpe qui évoque l’anorexie, la dictature de la maigreur et la tentation du suicide chez les adolescentes complexées.
 
Futur antérieur
 
Le retour à l’esprit des années 90 de 1995 est à mettre en parallèle avec le goût du vintage des petits groupes rock dont les références sont dans les sixties et les seventies. Le but n’est pas de faire de la musique à l’ancienne, mais de s’inspirer du bon esprit d’une époque où la virtuosité plus que l’appât du gain était le moteur.
 
Le 23 avril prochain, 1995 partagera la scène du Zénith avec Method Man, leur idole des années 90 en congé temporaire du Wu-Tang. L’occasion de confronter leur modernité juvénile avec le rap classique de ce vétéran qu’ils admirent depuis toujours. Et de donner une nouvelle illustration de leur slogan détournant le mantra rétro des rappeurs nostalgiques : "Le rap, c’était mieux demain". Alors on détourne un slogan RPR des années 80, et on dit : "Vivement demain". Et vive 1995.
 
1995, EP La Suite, (Polydor/Universal Music) 2012
En concert au Zénith de Paris le 23 avril