Gaël Faye, ce qui ne tue pas rend plus fort

Gaël Faye, ce qui ne tue pas rend plus fort
© Piwahye

Enfant d’une double culture, rwandaise par sa mère, française par son père, Gaël Faye a grandi au Burundi avant de se voir arraché à sa terre natale. Après avoir œuvré au sein du groupe Milk Coffee Sugar, il sort avec Pili pili sur un croissant au beurre un premier album habillé de slam, de rap et de musiques sur leur 31.

Dans ses textes, il se décrit comme un "virevolteur de mots pleins d’amertume". Cette amertume, on n’en voit pas la trace lorsque l’on rencontre Gaël Faye, à peine trente ans, souriant et le regard généreux. Et pourtant. C’est par instinct de survie qu’à 13 ans, il écrit son premier texte, alors que la guerre lui fait quitter son pays. "C’était quelques jours avant d’être rapatrié. Ils ont fermé l’école française à Bujumbura. On avait trois jours pour faire nos bagages. Ça bardait, on entendait le bruit des balles partout... Je ne sais même pas pourquoi j’ai écrit, j’avais peur. C’était une pulsion irrépressible. Sans ces circonstances-là, je suis persuadé que je n’aurais jamais écrit de ma vie."

Un départ précipité pour la banlieue parisienne, un placement dans l’urgence en famille d’accueil avec sa sœur, un père "aventurier", resté au pays, et c’est le déracinement. "Quitter ses repères du jour au lendemain, ça a été violent. Puis le froid, l’hiver, le béton, tout ça…"
 
De sa MJC de quartier aux fêtes de la musique de Saint-Quentin-en-Yvelines, Gaël Faye se tourne vers le rap pour exercer sa plume, avant de découvrir, étudiant, Paris et ses scènes slam. "J’y ai trouvé une pluralité, un public et une manière d’écrire qui m’ont nourri et fait retravailler mes textes. Quand on monte sur scène a cappella, on n’a plus le cache-misère de l’instrumental et du boom tchak !"
 
Bien que dans la culture familiale, "chanteur, c’est un truc de saltimbanque, pas un métier", après deux années passées à Londres à travailler dans la finance, une "indigestion de sandwichs triangle" et de clavier Qwerty, il lâche la cravate pour revenir se consacrer à sa passion.
 
Chansons d’exilé
 
Au-delà du titre de l’album (pili pili = le piment, ndlr), la musique comme les mots portent les marques de l’exil. Les partis pris instrumentaux sont riches : rumba congolaise, atmosphères jazzy-soul héritées de son expérience avec M.C.S., mais aussi influences lusophones. "Il y a quelque chose que je trouve très hip hop dans ces musiques-là, un côté sample comme dans la musique cubaine. D’ailleurs, j’ai parfois écrit en écoutant Compay Segundo, justement parce qu’il y a des boucles de guitare comme ça."
 
On trouve d’ailleurs un invité de marque, l'Angolais Bonga : "Il a accepté de venir de Lisbonne pour venir chanter Président avec moi. Je n’y croyais pas. On a vraiment enregistré ensemble, il y a les images !"
 
Les vieux copains ont également répondu à l’appel. Pytshens Kambilo, le chanteur guitariste congolais. Puis Ben l’Oncle Soul, venu partager avec lui Isimbi, une chanson sur sa fille. Pour Blend, au flow ultra-rapide, Gaël a demandé à Tumi de l’accompagner : "il fallait quelqu’un qui arrive à chanter en même temps sur un beat de rap !" Puis Edgar Sekloka, son ancien acolyte de M.C.S., a participé aux musiques composées par Guillaume Poncelet, à qui l’on doit également la réalisation de l’album.
 
En quinze morceaux, Gaël Faye questionne son identité. C’est le disque d’un enfant né près d’un lac et devenu homme près du bitume, loin des siens malgré des allers-retours réguliers. Aujourd’hui, il a appris "les charmes de Paris", s’est apaisé.
 
"J’ai passé une adolescence difficile. Au moment du génocide rwandais, les Hutus m’en voulaient parce que ma mère était tutsie, les Tutsis m’en voulaient parce que mon père était français. Blanc et noir aussi, ça a été compliqué. Dans A-France, je parle d’écartèlement, dans Métis je renoue un petit peu avec moi-même. Par l’écriture, tu vois où sont tes limites. Je me suis senti tiraillé parce qu’on ne m’a pas bien donné les deux cultures dont je suis issu, en les opposant d’entrée de jeu. Même mes parents inconsciemment l’ont fait. Quand on a un enfant métis, on n’a pas le mode d’emploi pour ne pas qu’il se sente exclu. C’est un équilibre à trouver, que j’ai fini par acquérir en faisant un travail sur moi-même." Et un bien joli disque, sans aucun doute.
 
Gaël Faye Pili pili sur un croissant au beurre (Mercury) 2012