Smarty, la force de l’exemple

Smarty © DR

Auteur d’un premier album personnel intitulé Afrikan Kouleurs avec lequel il vient de remporter le prix RFI Découvertes RFI 2013, le Burkinabè Smarty s’affirme en solo comme une des figures du rap africain, après s’être illustré pendant plus de dix ans au sein du duo Yeleen.

Au recto, il est assis en costume, cravate défaite, bras sur les genoux, l’air plus songeur que relax, au milieu d’un canapé carmin catapulté en pleine rue, quelque part en Afrique. Au verso, avec les membres de son nouveau groupe Bolo Bein Roots, il pose dans un lieu similaire, les pieds dans la boue, la chemise bien blanche, la tête haute. Deux facettes des réalités contrastées de son continent que Smarty a cherché à exprimer à travers la pochette de son album solo Afrikan Kouleurs.

Le mode de vie d’hier y côtoie les objets de la modernité, et vice-versa. C’est un peu la réflexion qui a guidé son nouveau projet musical. S’il avait par le passé fait appel aux instruments traditionnels de son pays pour souligner son propos, c’était seulement "pour quatre ou huit mesures". Cette fois, il était question de les mettre en avant et de dessiner "un univers acoustique, détaché de l’électronique pour montrer et prouver surtout à la jeunesse africaine qu’on peut y arriver".

Un choix, l’affirmation d’une identité et non une décision contrainte, comme vient dire Stop pas la musique, bonus de l’album en rupture avec le reste du contenu pour répondre à une logique très dancefloor. "Ce n’est pas parce qu’on est dans l’incapacité de composer aussi ce genre de musique là qu’on se cache derrière l’argument du traditionnel", justifie le rappeur.

Pour lui, "chanter, c’est bien, mais il faut aussi être engagé socialement, contribuer par la chanson à changer les choses." Avec un collectif d’artistes d’Afrique de l’Ouest composé notamment des Sénégalais Baaba Maal, Daara J ou encore du Nigérian 2Face Idibia, il vient de répondre aux sollicitations de l’ONG Oxfam pour enregistrer une chanson destinée à interpeler les autorités de leurs pays, dix ans après la promesse faite à Maputo par les chefs d’État de consacrer 10 % de leur budget national à l’agriculture. "Ou sont passés nos 10% ?" questionnent-ils.

Sur sa page Facebook, Smarty commente l’initiative. Il salue les paysans, parle d’autosuffisance… Les termes rappellent ceux martelés par l’homme qui gouverna brièvement le Burkina Faso avant d’être assassiné, il y a près de trois décennies. "L’idéal que Thomas Sankara défendait est toujours d’actualité. Produisons ce que nous consommons", affirme-t-il, précisant que les intentions artistiques de son album vont justement dans ce sens.

Premiers pas rapologiques avant Yeleen

Agir sur les mentalités, voilà son credo. Avec le rap comme vecteur de sa parole. Quand il découvre cette musique, vers 16 ans, l’effet est physique. La boule au ventre. "Moi aussi, le monde a besoin de savoir ce que je ressens. Tout n’est pas dit", se convainc-t-il. Il écoute NTM, IAM, Les Sages poètes de la rue, assiste à "la guerre West Coast/ East Coast” qui anime le mouvement aux États-Unis.

Lors de son premier concours de rap en 1995, il interprète des textes tels que La concubine de l’hémoglobine d’MC Solaar. Les vrais débuts ont lieu quatre ans plus tard sur scène, à université de Ouagadougou, le temps de peaufiner son apprentissage. Démarre alors l’aventure Yeleen, duo monté avec le Tchadien Mawndoe. Cinq albums, le dernier paru en 2010, qui leur permettent de faire partie des groupes de rap qui comptent en Afrique de l’Ouest. Et une séparation en 2011 qui ne se passe pas très bien, même si Smarty confie aujourd’hui que "le plus important, c’est qu’on soit en bonne santé et que chacun puisse avancer positivement et défendre au mieux l’image de l’Afrique".

A l’époque, il est tout prêt de raccrocher et fait connaître son sentiment sur un morceau-fleuve qui témoigne de son trouble. Il y parle entre autres de sa "déchirure" lorsque ses parents divorcent et que sa mère quitte la maison. "On a passé près de 14 ans sans se voir et c’est après quatre ou cinq albums sortis avec mon groupe que je l’ai retrouvée." En tant que fils aîné, il a dû apprendre, très tôt, à s’occuper du reste de la famille. "À huit ans, j’étais un peu responsable. Ça a eu une influence sur ma vie en général", reconnaît celui qui est pour l’état civil Louis Salif Kiekieta, né en Côte-d’Ivoire.

D’autant que par manque de moyens, son père ne peut l’envoyer à l’école au-delà de la 5e. "Ça n’a pas été simple mais dans ces difficultés, j’ai appris beaucoup de choses et aujourd’hui, je veux les partager avec le reste du monde", explique le trentenaire, qui croit aux valeurs motrices de l’exemplarité. A l’image de Tiken Jah Fakoly, invité sur un des morceaux d’Afrikan Kouleurs. Leurs relations ? "Ce sont les rapports d’un grand frère à un petit frère à qui il prodigue de temps en temps des conseils. On l’a vu grandir et on a beaucoup de respect pour son engagement, pour tout ce qu’il fait comme actions pour le développement de l’Afrique. On ne peut que prendre exemple sur des artistes comme lui et essayer de devenir à notre tour des modèles", précise-t-il, conscient du profit qu’il tire de la situation. "En Afrique, on dit que lorsque la graine devient un arbre, il vaut mieux aller s’asseoir dessous lorsqu’il y a du soleil."

Smarty Afrikan Kouleurs 2013
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