Disiz, de rage et de mots

Disiz, de rage et de mots
Disiz © Johan Dorlipo

À trente-cinq ans, c’est comme si Disiz était revenu de plusieurs vies. Après avoir connu le succès sous le nom Disiz la Peste, cherché son identité dans ses allers-retours avec le Sénégal, il avait pris le rap en pleine face. "Disiz the end", clamait-il, annonçant son retrait du combat. Effectuant depuis deux ans et demi un retour gagnant, il clôt un nouveau chapitre et sa trilogie Lucide, par Transe-Lucide, un huitième disque rageur. Plus que jamais, Sérigne M’Baye a des choses à dire et une vision de la complexité française à défendre.

RFI Musique : Avec Transe-Lucide, on arrive donc au bout de la trilogie Lucide
Oui, c’est le dernier disque de cette trilogie, mais attention, ce n’est pas mon dernier disque.

Pourquoi avoir choisi le lotus comme symbole de cet album ?
Parce que c’est la synthèse d’une vie et puis parce que j’aime la métaphore du lotus. Le lotus, c’est une fleur qui prend racine dans le limon, traverse l’eau qui, à l’image de la vie, n’est pas stable, et s’épanouit au ciel. Et le disque est construit comme ça, en trois actes, avec un début très sombre, très chaotique, très maladroit, les frustrations de l’enfance, les frustrations de l’adolescence, les frustrations de l’âge adulte. Après, on passe dans le cycle de l’eau, où il y a un questionnement métaphysique, des sons plus lumineux et des sons plus sombres, sans qu’on n’arrive encore à trouver pied. Et à la fin, il y a les sons du ciel, qui sont plus sereins, avec plus d’acceptation de soi.

Musicalement, vous vous êtes beaucoup inspiré de Kanye West ces dernières années et sur ce disque, on entend même des sons qu’on retrouve chez Booba…
Effectivement, Kanye West fait partie de mes influences, mais je ne l’ai pas attendu pour teinter ma musique d’autres styles musicaux. Quand je fais l’album Dans le ventre du crocodile, sous le nom de Disiz Peter Punk, il y a déjà l’influence de tout ce que j’écoutais dans les années 80 : Depeche Mode, The Clash, Michael Jackson, Prince… Par contre, lorsque je prends l’Auto-Tune, ce n’est vraiment pas en référence à Booba, c’est un effet de voix utilisé depuis très longtemps aux États-Unis et qu’il faut recontextualiser. Le titre Fuck les problèmes parle des addictions et de la dépression dans les quartiers populaires. Il m’a été inspiré par les interventions que je fais en milieu carcéral et dans des foyers socio-éducatifs. L’Auto-Tune est associé à la Codeine music, un rap du sud des États-Unis que les gens font en prenant du syrup (boisson à base de sirop pour la toux à la codéine et de soda, faisant office de drogue.- ndla). Ce que j’aime bien là-dedans, c’est justement ce mélange des genres, c’est-à-dire reprendre les codes d’une musique bling-bling et mettre un propos derrière.

Côté propos, il y a des textes rentre-dedans comme Kamikaze ou Rap Genius. Pourquoi ?
Le fait d’alterner des choses où l’on est dans la maîtrise et d’autres, où l’on est dans l’impulsion, cela fait partie du rap. Le rap, c’est une musique de cœur, une musique d’humeur, une musique de fête. Vu que je revenais sur ce que je faisais au début, il fallait que je repasse par cette adolescence et cette urgence. Ce disque est une synthèse de mon parcours, mais il y a aussi une invitation, j’ai fait attention à ne pas être trop personnel pour que chacun puisse s’y retrouver.

Il y a un thème qui vous suit et que vous évoquez encore ici, c’est votre identité métisse. Où en êtes-vous de votre réflexion à ce sujet ?
Quand je dis métis, ce n’est pas seulement être franco-sénégalais, je parle de toutes ces cases où l’on se met ou dans lesquelles la société nous met. Provincial/parisien, citadin/banlieusard… J’ai longtemps été torturé par rapport à ça, mais aujourd’hui, je ne réfléchis plus, je me suis affranchi du regard de l’autre. C’est moi qui définis mon identité et mon identité est complexe, je ne peux pas la simplifier et je refuse de la simplifier, parce que la simplifier, c’est forcément une souffrance. Peut-être que le fait de ne pas vouloir qu’on me définisse est ma marque de fabrique. Mais tant mieux, je suis bien plus à l’aise dans mes pompes avec cette vision des choses. Lorsque j’étais adolescent, je ne savais pas si j’étais noir, si j’étais blanc, maintenant, je suis tout cela à la fois.

Vous dîtes à propos de votre retour sur le devant de la scène rap : "J’ai la Ragging bull / revenu comme Jordan aux Chicago Bulls". Est-ce que cela signifie que vous avez eu peur de vous être oublié en route ?
Pas seulement de m’être oublié, mais que l’industrie du disque m’essore. C’était Disiz, le rappeur à la mode avec J’pète les plombs, dont le temps est passé, et puis voilà. Mais enfin, qui décide la date de péremption d’un artiste ? C’est l’industrie du disque ? C’est la radio ? Moi, je ne voyais pas les choses comme ça. Donc, j’ai continué, continué, continué et quand je dis "revenu comme Jordan aux Chicago Bulls", c’est pour dire "Vous m’avez peut-être enterré un peu trop vite !" J’ai la même force, la même envie de croquer le micro et de dépeindre le monde dans lequel je vis sauf que, voilà, je dépeins ce monde avec le regard de quelqu’un de trente-cinq ans. Il y a toujours la même rage, mais il y a peut-être un peu plus de maîtrise.

Disiz Transe-Lucide (Def Jam / Universal Music) 2014
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