Avec La voix lactée, le rappeur Oxmo Puccino sort un huitième disque apaisé, solaire, couleurs "joie" : autant de pistes pour que brillent nos étoiles intérieures, propices à l’avènement d’un monde meilleur. Sage, zen, grand sourire et mots ciselés pour seules armes, le "Black Jacques Brel" suggère sa voie, dévoile sa trajectoire, délivre sa propre lumière, et celles de ceux qui sauront l’écouter. Rencontre avec un poète à la force tendre, à la puissance douce et contagieuse.
RFI Musique : Votre disque, La voix lactée, n’évoque pas la Galaxie (la Voie lactée), les astres, mais plutôt des épopées humaines, des itinéraires de vie. Pourquoi ?
Oxmo Puccino : Ce titre correspondait au concept de mes pistes, à leur texture. Selon mon idée, la Galaxie ne serait pas l’"espace" que nous imaginons, peuplé d’astres, de planètes, mais bien ce lieu présent, dans lequel nous vivons, dont nous-mêmes sommes les étoiles, aux corps constitués de poussière d’astres, de fer, de métaux, d’eau, bref ! De tous les éléments qui composent l’univers… Pourtant, dans notre tentative de composer cette Voie lactée, la nuit nous voile : nous restons des étoiles à la clarté étouffée.
Pourquoi sommes-nous des étoiles "à la clarté étouffée" ?
"Clarté étouffée" parce que nous restons trop longtemps en sommeil de nous-mêmes, parce que nous passons notre existence à aller vers notre individualité. Or, l’accomplissement d’une vie consiste justement à se rencontrer soi-même. Quelqu’un de "lumineux" se trouve bien avec sa peau : il s’assume, a pleine conscience de ses limites, de ses capacités… Or, le monde n’encourage personne à devenir soi-même. La société nous propose/impose ses "modèles", dont la propagation commence à travers l’éducation. Etre soi-même : quelle aventure ! Le pire, c’est de ne même plus avoir conscience de cet éloignement, d’embrasser l’habitude, la douleur, la frustration, sans même considérer leur mal insidieux sur notre organisme et nos pensées. Qu’attendons-nous pour briller ?
Dans Le marteau et la plume, vous dîtes : "Je chine des petites phrases". Tel un chroniqueur social, vous glanez des morceaux de quotidien, en tissez des paraboles ?
En général, une situation de vie récurrente, une réflexion me frappent. Je les teste ensuite sur mon entourage : d’autres les partagent-ils physiquement, familialement, socialement ? A la manière d’un humoriste, je peins des tableaux "anodins", qui éclairent d’autres réalités plus riches, plus vastes. A l’origine, donc, une petite phrase glanée, un détail – un verre d’eau en plein désert !– s’impose : je le file en mots, en musique, poursuis en commentaire composé. J’observe, décris le monde qui m’entoure : la possessivité amoureuse (Amour et propriété), les revers de la célébrité (Gloire et célébrité), les gardes partagées (Un week-end sur deux)… Dans 1998, sur la victoire de la France lors de la Coupe du Monde de football, je m’engage aussi plus frontalement : cette année-là, une bombe de bonheur bleu-blanc-rouge a explosé sur le pays. L’espace d’un instant, nous avons entraperçu cette capacité de joie immense si nous regardions tous dans la même direction. Hélas, le triomphe fut de courte durée… Il nous a pourtant révélé qu’il était possible d’être heureux, tous ensemble… Et si nous le faisions exprès ?
Vous dispensez aussi de lumineux conseils, des appels au bonheur ! Vous considérez-vous comme un philosophe des temps modernes ?
J’assume cette envie d’éclairer le monde, sans attitude engagée ni moralisatrice. Ma pierre à l’édifice ? Suggérer de modestes pistes, pour tenter de bâtir un monde meilleur avec les moyens dont chacun dispose. Dans Slow life, j’invite ainsi aux moments de grâce, à la contemplation : un appel à vivre ! Une chance explique : le bonheur dépend en majeure partie de nous-même, chacun tient en ses mains la responsabilité de sa vie… Ce faisant, je m’inscris aussi dans une longue tradition de guerriers pacifiques, de rappeurs. Dans A cheval sûr, je poursuis ainsi les traces d’une cavalcade fantastique, un ego-trip jouissif, qui salue au passage, mes héros, les personnages inratables de ma propre épopée. Certains nous éclairent ; à nous de reprendre le flambeau.
Sur Le marteau et la plume, vous dîtes : "Entre le marteau et la plume, j’ai dû aiguiser mon âme" ; dans Gravir ce monde : "Ta propre langue te surprend". Vos mots possèdent-ils ces pouvoirs magiques ?
Les mots résultent d’une pensée, d’une recherche, d’une cueillette, de la traduction de nos bruits intérieurs, pour peu qu’on sache les harmoniser… J’aiguise mon âme, oui, mes armes aussi. Et puis, si l’on pense maîtriser à la perfection sa langue maternelle, il y a des jours, parfois, où ses limites, ses échos insolites, nous étonnent ; une manière inédite d’écrire, de s’exprimer, nous révèle une vérité ignorée sur nous-mêmes, sur le monde, sur l’univers. Les mots possèdent ce pouvoir de révéler des "clartés étouffées". Comme je l’exprime dans Gravir ce monde : "Le monde n’est pas petit, c’est nous qui sommes grands". La force du verbe !
Empreint de tendresse, ce disque à la force sage, sonne zen, apaisé, heureux… Etes-vous en bonne route vers vous-même?
Ce disque se veut le reflet de beaux moments, des traces de leurs souvenirs, de leurs résonnances. Si nous ne pouvons jamais être sûrs du chemin, de notre voie, je suis pourtant satisfait, aujourd’hui, d’avoir emprunté la mienne. Par La voix lactée, je tâche de chérir les moments présents, d’anéantir les phases négatives, de garder le témoignage de joies à partager, et la mémoire d’un grand rire, qui éclate dans la galaxie…
Oxmo Puccino, La voix lactée (Wagram) 2015