Il n'a jamais quitté les platines, ni perdu de vue ce funk qui l'habite depuis l'adolescence. Pionnier du hip hop en France, Dee Nasty publie Classique, son septième disque en trente-cinq de carrière, sur lequel on retrouve Afrika Bambaataa, Manu Dibango, Rachid Taha ou Rocé. Mémoire vivante de son art, aventurier du rap en France, Daniel Bigeault de son vrai nom, fait revivre ici le son funky des années 80. Entre ici DJ Dee Nasty, avec son cortège de sons et d'ombres…
C'était en février 1991, au temps où le rap gagnait doucement le grand public. Sur le plateau de l'émission de télé Ciel Mon Mardi, le rappeur Lionel D se fait l'apôtre du mouvement hip hop avec le groupe I AM, des membres de NTM, et profite de l'occasion pour saluer son ami DJ.
"Bon, on parle, on parle, mais il y a quelqu'un qui s'appelle Dee Nasty. Qui c'est Dee Nasty ? Faut le savoir, hein. (…) Dee Nasty, c'est un des rares mecs, je veux dire en France, qui s'est toujours mouillé pour acheter des disques, pour chercher des sons, pour faire en sorte qu'à l'heure actuelle, il y ait d'autres DJs. Faut pas l'oublier ! (…) Lui et moi, on faisait une émission sur (radio) Nova, qui était hyper écoutée, quoi. Voilà, les médias, ahahah… Mais il y avait quand même une mouvance, quoi." "Mais arrêtez de parler des médias, parce que vous êtes tous dedans ce soir, alors..." interrompt l'animateur Christophe Dechavanne. "… alors, reprend le rappeur, dédicace à toi Dee Nasty / Qui me regarde ici / Reçois ces mots / De la part de Lionel D. C'est tout."
MC de l'émission de radio Deenastyle sur radio Nova, qui a ouvert entre 1987 et 1989 les portes à toute la génération hip hop des années 90 (
Assassin, Ministère A.M.E.R.,
MC Solaar...), Lionel D n'a pas rencontré la gloire d'
Akhenaton et des siens, mais à la force de ses scratchs, Dee Nasty a forcé le respect d'un milieu qui l'a aimé autant que jalousé.
Aux origines du rap français
Écouter Daniel "Dee Nasty" Bigeault aujourd'hui, c'est avoir affaire à un militant de la première heure dont le parcours se confond avec les débuts du rap en France (1). Né en 1960, c'est à 17 ans que l'enfant de la cité de la Pierre-Plate, à Bagneux en banlieue sud de Paris, s'embarque pour les Etats-Unis, où il vivra toute la fin des années 70. "À San Francisco, il y avait déjà beaucoup de graffs sur les murs, des breakers aux stations de tramway, avec des batteurs qui faisaient le beat et des danseurs qui s’enchaînaient. Et puis, je m'étais acheté un petit poste à cassettes pour enregistrer les radios. Le mot rap ne s'utilisait pas encore en musique mais dans les émissions, il y avait des gens qui parlaient sur de la musique funk, c'était du funk parlé" se souvient-il.
L'idée d'être DJ s'impose finalement pour ce guitariste de formation, en 1981, au retour de ses voyages aux Etats-Unis et d'un périple au long cours dans toute l'Amérique Latine. Coursier, il profite des temps morts de son job "pour faire les bacs" des disquaires et, l'apparition des radios libres au lendemain de l'élection François Mitterrand lui permet de transmettre sa passion pour le funk. Premier à produire un disque de rap indépendant en 1984, Paname City Rappin, premier DJ français à participer au championnat du monde des DJ, le DMC, Dee Nasty mixe dans un terrain vague du quartier La Chapelle, à Paris, et dans les clubs de la capitale.
"
Taulier" de la Zulu Nation d'Afrika Bambaataa dans l'Hexagone, figure du milieu hip hop à l'aube des années 90, Dee Nasty a travaillé sur des centaines de disques et remixé des dizaines d'artistes, dont les
Rita Mitsouko. Son titre
À nos amis figurera aussi sur "
cinquante compiles" mais ne fera pas de lui "
un homme riche", d'autant que sa maison de disque, Polydor, ne sait alors pas trop quoi faire d'un DJ.
Droit dans sa musique
"Aux USA, les DJ, Afrika Bambaataa, Grandmaster Flash et Kool DJ Herc font la couverture du magazine The Source. En France, ce n'est pas le cas, Dee Nasty est resté sous-estimé" constate son ami, le MC américain, Dynamax, qui figure sur tous ses albums depuis 1993. Pas franchement roi maudit, l'intéressé admet "de vraies colères" à ce sujet mais il est resté droit dans sa musique.
C'est avec le même état d'esprit qu'il a abordé Classique, son septième album en trente-cinq ans de carrière, qui paraît sur le label Celluloïd. "Ce groove est vraiment unique / J'espère qu'enfin, je vais me faire du fric / Que partout dans le monde, on m'entende / Et surtout qu'il se vende", lâche-t-il, ironique, sur Vazy. A 55 ans, le visage marqué par une vie faite d'ombres et de lumières, Dee Nasty porte toujours les mêmes valeurs : "Peace, love, unity & having fun" La paix, l'amour, l'unité d'un mouvement dont il est depuis trente-cinq ans, un passeur généreux.
Le chanteur
Rachid Taha, le saxophoniste
Manu Dibango et pour la première fois, Afrika Bambaataa, Dee Nasty a réalisé quelques uns de ses vieux rêves. Mais pour cet album empreint de P-Funk, le funk rétro-futuriste de George Clinton, il a aussi laissé le micro à d'autres voix comme les activistes hip hop parisiens d'Alakazam (
Pot de terre) ou Rocé (
Pour même pas un billet). De la vieille école, le "
grand master" Dee Nasty ? "
On m'a toujours dit que j'étais old School, alors, maintenant, je le revendique" glisse l'animateur de Global hip hop, l'émission diffusée par les radios partenaires de Rfi dans laquelle il donne à entendre le rap du monde entier.
Comme Dee Nasty rime avec RFI, il bénéficie du label RFI Talent, en étant soutenu pour Classique par les éditions de notre maison et ce n'est pas un hasard. Il est lui aussi une belle oreille d'un monde en mouvement.
Dee Nasty Classique (Celluloïd/RFI Talent) 2015
Page Facebook de Dee Nasty
(1) A lire à ce propos, Regarde ta jeunesse dans les yeux Naissance du hip-hop français 1980-1990 de Vincent Piolet, préfacé par Dee Nasty, paru aux éditions Le mot et le reste, et Combat Rap II 20 ans de Rap français / Entretiens, de Thomas Blondeau et Fred Hanak, paru aux éditions Castormusic.