À tous ceux qui pourraient penser que l'âge d'or du rap français est derrière lui, les productions de 2015 et celles de 2016 les feront mentir. En effet, de PNL à Booba, en passant par Kaaris ou Nekfeu, les rappeurs n'ont pas été en manque d'inspiration ces derniers temps. Et cette effervescence devrait se poursuivre cette année encore.
On pourrait presque résumer l’année rap 2015 avec un acronyme : PNL, soit Peace N’Lovés ("les lovés", l’argent en argot). Ce groupe composé de N.O.S. et Ademo (Nabil et Tarik), deux frères originaires du quartier des Tarterêts à Corbeil-Essonnes, a créé la surprise avec son album Le Monde Chico, leur second en un an (le premier, QLF, était sorti en mars 2015 dans une relative confidentialité).
Avec des paroles en équilibre entre émotions intimes et récits d’une vie illégale vécue comme une malédiction, ils ont su capter l’attention de la planète rap et au-delà. Musicalement, leur hip hop baigné dans l’autotune et les boucles spatiales leur a valu l’écoute d’une large frange du public, leur assurant même des articles dans des médias improbables (Grazia, L’Obs, Les Inrocks, etc.) malgré leur silence promotionnel : pas une interview ni une photo de presse pour illustrer leurs chansons. La plus populaire reste Le Monde ou rien, dont le clip tourné à Naples dans la cité de la Scampia a été vu par 21 millions d’internautes. Le single Lion, premier morceau inédit après l’album, montre que PNL compte bien occuper l’espace en 2016 avec leurs rythmiques spatiales et leurs lyrics bouleversants.
Autre révélation, autre acronyme : SCH, avec sa mixtape A7, a quelques points communs avec les frères corbeil-essonnois : un clip tourné à la Scampia, pas mal d’autotune et de l’émotion derrière les chicots gâtés et la longue crinière. Fusil est sûrement le meilleur titre de son album sorti chez Def Jam, et une belle carrière s’annonce pour ce rappeur blanc au nom en forme de trigramme venu de Marseille, entendu sur l’album de Lacrim, qui prouve avec ses clips son attirance pour les call-girls et les chambres d’hôtel.
Encore un acronyme (décidément) : MHD a frappé fort avec son Afro Trap festif qui annonce une tendance afro rumba déjà amorcée avec Niska, l’homme du single footballistique Matuidi Charo.
Poids lourds
Du côté des poids lourds, ça n’a pas chômé : Booba a sorti deux albums en 2015,
D. U. C. et
Nero Nemesis, le second disponible le 4 décembre, le Black Friday du rap français qui a vu la sortie simultanée de 5 gros calibres (Booba, Rohff, Nekfeu, Jul et Caribbean Dandee, le projet de
JoeyStarr et Nathy). Fidèle à sa ligne, le duc de Boulogne a lâché des
punchlines cyniques, quelques scuds à ses meilleurs ennemis (
"Tu n’arriveras jamais comme le feat avec Rohff") et un gros hit enzouké,
Validée, écrit par le musicien malien Sidiki Diabaté.
Rohff, avec son Rohff Game, a quant à lui inventé un terme imagé pour exprimer sa puissance microphonique et physique : testiculé ("Je rentre seul dans leur tess’ car je suis testiculé").
Kaaris n’est pas en reste avec Double Fuck, où il réaffirme sa puissance avec des rimes d’une plaisante mégalomanie ("Si je ne suis pas le dernier à rester debout sur le ring/ Que le rap français me pende avec son string"). Album lourd et important que celui de Mac Tyer, Je Suis Une Légende. Son concert à La Cigale a permis de constater que l’ex-Tandem a une fan base fidèle au rendez-vous, avec l’émotion à son comble lorsqu’il rendit un poignant hommage à son jeune frère Bigou, disparu tragiquement début 2015.
L’année 2015 a décidément été d’une richesse rare pour le rap d’ici : Youssoupha a lâché son très attendu NGRTD (prononcer Négritude, bien sûr) qu’il a défendu au Zénith de Paris le 10 novembre, trois jours avant que les massacres aveugles du vendredi 13 ne jettent un voile d’horreur sur les concerts.
Il y en a eu pour tous : pour le grand public avec Cosmopolitanie de l’ami Soprano (récente recrue de la troupe des Enfoirés), pour les gangsters d’amour avec le RIPRO de Lacrim (deux volumes et un Disque d’or à la clé), pour les amateurs de classicisme grâce au Rap Machine de Disiz et pour ceux qui écoutent les textes et apprécient l’écriture mature avec La Voix Lactée d’Oxmo Puccino.
Confirmations
Grosse révélation (ou plutôt confirmation) de 2015 : Nekfeu, qui après les albums de 1995, S-Crew et L’Entourage a frappé très fort avec son solo Feu, véritable triomphe confirmant le talent fou de ce MC aussi prolifique que doué à qui l’avenir appartient. En fait, si l’on en croit Orelsan, "L’avenir appartient aux gens qui se lèvent à l’heure où je me couche", comme il le dit sur la BO de Comment c’est loin, le long-métrage qu’il a écrit et coréalisé dans lequel il reprend la trame de son album avec Gringe, Casseurs Flowters. Une ode à l’ennui et à l’inaction endémique frappant les jeunes provinciaux, bref du vécu pour ces deux MCs ayant grandi hors sol parisien, du côté de Caen.
Le premier album de Caribbean Dandee, duo composé de JoeyStarr et de son padawan ultra doué Nathy, scelle l’alliance du vétéran et du
rookie (Nathy est né en 1990, l’année où
NTM sortait son premier titre), de l’électro et du hip hop, des rythmiques caraïbes et de la chanson française (avec un sample d’
Édith Piaf sur
L’Arène !).
Bigflo & Oli, qui à eux deux, ont l’âge de Booba, sont entrés dans La Cour Des Grands. Ils en ont ramené un Disque d’or et une sympathie médiatique qui leur a permis d’apparaître chez Cyril Hanouna comme au Grand Journal. Belle schizophrénie.
On s’en voudrait d’oublier les deux grands gagnants de l’année en termes de ventes : Maitre Gims et son double CD Mon cœur avait raison déjà multiplatine et l’infatigable Jul, six albums (dont quatre certifiés platine parmi lesquels le dernier, My World, en moins d’un mois) et cinquante singles en deux ans. Le Marseillais aux sourcils zébrés est donc l’autre gagnant indépendant (avec PNL) de cette folle année rapologique.
Pour 2016, ça va démarrer très fort avec Lefa, Rim-K, la compilation de reprises du Secteur Ä
Affaires de Famille et bien sûr le grand retour de
Doc Gynéco pour les 20 ans de son classique
Première Consultation, qui seront célébrés avec une réédition comportant des inédits et une tournée française qui passera par l’Olympia les 25 et 26 mai.
Restera-t-il encore des aigris pour oser dire que le rap français va mourir ? Sûrement, car comme disait Michel Audiard, "Les cons osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît".
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