Vingt ans ont passé, et le temps ne fait rien à l’affaire : Première Consultation, le CV d’un jeune artiste de 22 ans nommé Bruno Beausir, alias Doc Gynéco, n’a pas pris une ride. Mieux : au regard de la production actuelle, entre usinage bien façonné et punchlines au kilomètre, ce diamant noir des années 1990 s’impose par sa rigueur dans le groove, ses lyrics d’une qualité inégalée et sa supériorité stylistique insolente. Rencontre.
Viens voir le docteur, Nirvana, Classez-moi dans la varièt sont autant de titres de Doc Gynéco devenus des hymnes, et qui bénéficient en 2016 d’une petite retouche par Mitch Olivier, mixeur qui sait faire claquer les drums et groover les basses. L'album Première consultation est donc réédité et on retrouve Bruno au studio où Mitch a trituré les bandes de l’album pour un remastering fidèle.
En plus de l’album d’époque très respectueusement dépoussiéré, on a droit à un CD de "titres rares, inédits, versions alternative & remix" plus un CD d’instrumentaux pour les heureux acquéreurs de la version top luxe triple CD. Une vraie renaissance pour le disque de Bruno. Un Bruno qui démarre la conversation en évoquant son premier producteur aujourd’hui disparu, Mariano Beuve.
Doc Gynéco : Je trainais avec Mariano qui à l’époque, produisait différents groupes, dont
Ministère A.M.E.R. J’accompagnais
Stomy, venu de Sarcelles vivre à Porte de La Chapelle. Je trainais avec lui, je l’accompagnais au studio et c’est comme ça que j’ai rencontré Mariano. Et le soir, quand le Ministère avait fini d’enregistrer, je commençais à fabriquer le concept de moi-même (rires). J’ai fait les maquettes de
Première Consultation là-bas, à Trinité - D’Estienne D’Orves, au studio Adès. Je ne sais pas ce que c’est devenu aujourd’hui, d’ailleurs.
RFI Musique : Ça a été un grand choc, le plongeon dans le monde du showbiz ?
Doc Gynéco : Les gens du music biz, je ne respectais pas leur intelligence, je la trouvais vicieuse. Moi qui venais d’un milieu où il n’y avait que du vice, quand j’ai vu de l’intelligence mélangée au vice, je n’ai pas trouvé ça intéressant. Ils travaillent avec les artistes mais ils gâchent beaucoup de projets. J’ai vu beaucoup de trucs étranges. Ils sont très comptables, au fond. Je me suis renseigné sur le métier de chanteur et d’artiste. Je ne savais pas que c’était du business à 90%, voire 99%. Moi j’étais à 200% dans l’artistique, et je les ai laissé se battre entre eux. Le Secteur Ä, Virgin, les amis, les familles… Moi, je réfléchissais à comment faire de la musique le mieux possible. Juste être connu, ça ne m’intéressait pas. Mais j’ai lu quelque chose que disait Bowie : c’est quand il a eu de la liberté financière qu’il a pu faire ce qu’il voulait artistiquement. Moi j’ai fait l’inverse, je n’ai rien calculé de financier, j’ai tout mis dans l’artistique, à fond.
On vous avait découvert en 1994 sur l’album de Ministère A.M.E.R avec le titre Autopsie, et un an après, on vous retrouve aux États-Unis, en train d’enregistrer un album à Los Angeles avec des musiciens californiens !
À l’époque, il n’y avait pas d’engouement particulier pour les gens des quartiers. Quand tu disais "Je vais à NY" ou "Je vais à LA", tu étais un hip-hopien parisien qui connaît bien ce qui se passe de l’autre côté de l'Atlantique… (…) ! J’y suis allé à cause de ce que je lisais derrière les pochettes de disque que j’appréciais, que ce soit blanc ou noir, rock ou rap ou funk : je me suis rendu compte que j’aimais la musique qui venait de Californie. Alors j’ai demandé à avoir ces producteurs, ces musiciens. C’est Ken Kessie qui a fait le lien, il a mixé les maquettes. Il était dans le son. Ça m’a impressionné quand je les ai vus brancher les instruments et jouer. Tu vas avoir un batteur qui ne passe pas la porte parce qu’il fait 250 kilos mais quand il joue, woaw… Tu comprends. Mais la lumière ne m’impressionne pas, elle me dérange. Je n’ai jamais eu de respect pour tout ce qui brille trop.
En 1996, la diffusion du single Dans ma rue a été stoppée à cause de l’utilisation du mot "youpin"…
Quand j’ai utilisé ce terme, il n’y avait pas encore tous les problèmes d’aujourd’hui sur les religions, et je me suis fait attaquer par la Licra, qui défend la communauté juive. Ils n’ont pas compris. "Youpin", "re-noi", "arabe" ou n’importe quel mot jugé péjoratif pour dire le nom d’une race, si c’est moi qui le dit, ça n’est pas mal, au contraire, c’est mieux. Ils se défendent tout de suite parce que le rap a une sale image. Si je n’avais pas été un rappeur, on ne m’aurait peut-être rien dit. Par contre, je n’ai jamais eu de problèmes avec les femmes, c’est bizarre ! (rires)
Après ce vingtième anniversaire, peut-on attendre un nouvel album d’inédits bientôt ?
Je n’ai jamais cessé de travailler, j’ai au moins 40 maquettes qui sont prêtes… Vous n’avez pas fini d’entendre parler de moi ! (rires et fin)
Doc Gyneco Première Consultation/ Edition 20 Ans (Warner Music) 2016
Page Facebook de Doc Gynéco
En tournée et en concert à Paris à l'Olympia les 25 et 26 mai 2016