Le brûlot de La Rumeur
Cinq ans après leur dernier album, Du cœur à l’outrage, et deux ans après la fin de leurs différends judiciaires avec Nicolas Sarkozy, les rappeurs activistes de La Rumeur, reprennent du service avec Tout brûle déjà, un disque de plomb, corrosif et sans concession.
Hasard du calendrier ? Volonté délibérée ? Acte inconscient ? Même s’ils s’en défendent, Hamé, Ekoué et le Bavar, les trois lascars du crew La Rumeur, ne dérogent pas à leur habitude : sortir leurs disques en pleines périodes électorales. Martelée, la répétition éradique l’hypothèse d’une simple coïncidence. L’ombre sur la mesure, paru le 16 avril 2002 ; Du Cœur à l’outrage, dans les bacs le 23 avril 2007… Et tout juste cinq ans plus tard, en plein cœur de l’entre-deux-tours présidentiel, ils récidivent en redoutables pyromanes avec Tout brûle déjà.
Saveur particulière, en 2012 comme en 2007 : l’un des deux candidats à la magistrature suprême s’impose comme l’un de leurs plus farouches ennemis… En 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, intente un procès à Hamé pour "diffamation, atteinte à l’honneur et à la considération de la police nationale", suite à des propos* publiés dans un fanzine qui accompagne L’Ombre sur la mesure. S’ensuivront huit années d’acharnement judiciaire, déclinées en cinq procès et autant de relaxes, qui s’achèveront sur une victoire finale d’Hamé, le 25 juin 2010.
Dans ce marathon procédurier, La Rumeur abandonne quelques plumes (30.000 euros de frais d’avocat) mais gagne beaucoup de galons, érigés comme fers de lance des rappeurs sans concession. Loin d’altérer leur énergie, ces marasmes les galvanisent plutôt… Depuis leur dernier album, Hamé et Ekoué ont réalisé un long-métrage, De L’Encre, diffusé sur Canal+ en juin 2011, une fiction qui fustige l’envers du décor du rap français ; quant au court-métrage de Mohamed Bourobka (aka Hamé), Ce chemin devant moi, il sera présenté à Cannes en 2012, dans la catégorie Court Métrage.
Bombe à retardement
Mais par-delà les images, la plume de La Rumeur court toujours sur le papier, s’abreuve à la révolte, trempe dans le vitriol, refuse tout compromis. Tout brûle déjà : leur quatrième album laisse présager une référence aux émeutes de 2005, qui embrasèrent les banlieues. Son présent et son atemporalité annonce surtout un état d’urgence, qu’ils jugent permanent. "Je suis au rap ce que la poudre est à la cartouche" : dans leur titre Sans faire de bruit, la Rumeur donne le ton. Piste à piste, le groupe allume la mèche, propage "leur uranium, leur matière radioactive".
D’emblée, le son s’impose, lourd, massif, le groove alangui, les voix graves, rauques. De ce disque de plomb, corrosif, émerge une violence sourde, sombre, quasi monochrome. Quelques griefs explicites saillent, contre Jean-Paul Guerlain (Sans Faire de Bruit), contre les "Lois Karcher" de Nicolas Sarkozy (Tous ces mômes vont grandir)… Pour le reste, la rage se noie parfois dans des textes aux tournures poétiques, mais au sens énigmatique.
Au ralenti, le coup de poing, parfois, peine à toucher sa cible : entre les mots, la colère se dilue. N’empêche ! Cet album, au final assez personnel, représente moins un manifeste, qu’une tranche de vie des protagonistes : un pas de plus, en toute sincérité, un sillon supplémentaire tracé par les sueurs, les larmes et les armes, tripes et cœurs ouverts, dans l’épopée du rap underground…
*"Les rapports du ministère de l'intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété"
La Rumeur Tout brûle déjà (La Rumeur Records/L'Autre Distribution) 2012.
Site officiel de La Rumeur
A écouter sur RFI : l'émisssion de Pascal Paradou Culture Vive avec La Rumeur (02/05/2012)