Kery James, retour en force acoustique

Kery James, retour en force acoustique
© Arthur Delloye

Vingt ans de rage, vingt ans de rimes, vingt ans de revendication. Kery James n’a pas quarante ans, mais déjà deux décennies de rap dans le rétroviseur depuis ce premier 45 tours signé Idéal J, La vie est brutale, sorti en 1992. Histoire de clore un premier cycle, Alix Mathurin (son vrai nom) sort 92.2012, une compilation originale : au lieu de se contenter du traditionnel best of agrémenté d’un inédit, il revisite son catalogue avec des versions acoustiques de ses meilleurs textes. Et l’inédit est une bombe à fragmentation : une Lettre à la République qui a déjà généré des millions de clics sur le net et des commentaires passionnés. Calme, posé, affable, le jeune rappeur hyperactif est désormais un père de famille raisonnable, mais qui n’a pas mis de côté ses convictions ni sa détermination. Rencontre avec un des plus importants personnages du rap français.

RFI Musique : Le titre de l’album est explicite : 92.2012.
Kery James : Ça fait un bon moment, j’en suis plutôt fier, c’est une vraie carrière. Quand on pense à tous ces artistes qui ont disparu dans le rap pendant ces vingt ans… Même ceux qui ont fait des hits !

Tu te souviens de Danse avec moi, le premier titre de ton groupe Idéal J ?
Pas dans le détail mais j’ai quelques images, je vois le clip tourné par Rapline [une émission de télé consacrée au rap, diffusée au début des années 90, NDLR]. C’était très important pour nous à l’époque. Soit tu passais à Radio Nova, soit sur Rapline. C’est marrant de voir comment la société a évolué par rapport au rap. Il y a vingt ans, il y avait une émission de rap sur M6, alors que le rap français ne se vendait pas du tout. Et aujourd’hui, rien. C’est étrange.
 
Tu étais dans l’âge de l’innocence du rap, et de ta propre vie…
Je ne sais pas si on envisageait de gagner notre vie avec le rap, mais faire un clip sur Rapline, ça c’était un objectif. On était dans ce genre de concret.
 
Tu as réécouté La vie est brutale quand tu t’es lancé dans ce projet ?
Oui, et ça m’a étonné de voir que ce premier texte était déjà engagé. J’avais quinze ans et la façon dont je m’exprime sur le sujet, ça m’a fait bizarre. En me replongeant dans mes textes, ça m’a frappé de voir que certains étaient toujours d’actualité. Ça m’a fait presque peur. Le ghetto français, je pourrais le ressortir aujourd’hui comme un inédit, et ça tiendrait la route. Ça fait vingt ans qu’on dit les mêmes choses, qu’on parle des mêmes réalités. Seuls changent les détails. Les portables ont remplacé les beepers, c’est tout.
 
As-tu anticipé la polémique autour de cette Lettre à la République ?
Je savais que ça ne plairait pas à certaines personnes, mais je suis très étonné des axes d’attaque. Les critiques ne sont pas aussi nombreuses que l’acceptation du morceau, il faut le rappeler, ça a touché les gens que je voulais toucher. Mais sur les critiques que j’ai eues, j’étais consterné. J’en ai repéré trois :
Un, ce serait un morceau victimaire. Moi l’auteur de Banlieusards, moi qui ai dit "On n’est pas condamnés à l’échec", "Malgré les déceptions et les dépressions suite à la pression que chacun d’entre nous ressent, leur désir de nous maintenir la tête sous l’eau transcende ma motivation", dire que je fais un texte victimaire ? Non !
Deux, c’est un texte anti Blancs. Je n’ai mentionné aucune couleur dans le texte, je dis juste "Vous n’avez les mains blanches", c’est-à-dire propres, "que dans vos mensonges". Après avoir écrit "Il n’y a pas de couleur pour souffrir", "Tu peux souffrir sans venir de la banlieue, partout tu peux lire le même manque d’amour dans les yeux", j’ai besoin encore de me justifier, de dire que je ne suis pas raciste ?
Trois, ils disent que les Noirs et les Arabes ne sont pas les seuls à souffrir. D’accord, mais je n’ai jamais dit que j’étais Gandhi, je ne suis pas là pour porter la misère du monde. Sinon je prends la carte du globe et je fais un texte sur le Tibet, sur les Chinois discriminés. Ce qu’ils disent en politique montre bien que si on n’est pas les seuls immigrés, on est considérés comme les seuls qui posent problème. La preuve, c’est quand ils ont parlé du vote des étrangers. Ils ont dit que s’ils donnaient le droit de vote aux étrangers, ils vont mettre la viande hallal dans les écoles et séparer hommes et femmes dans les piscines. Ça veut dire que dans l’inconscient des gens, "les étrangers", ce sont les musulmans, les Noirs et les Arabes principalement.
 
On t’a reproché d’attaquer la laïcité…
Je ne l’ai pas attaquée, je dis juste qu’elle sert d’alibi à certaines personnes pour exprimer du racisme ou de l’islamophobie.

Kery James 92.2012 (EMI / Believe Digital) 2012
En concert acoustique aux Bouffes du Nord à Paris à partir du 10 avril

Site officiel de Kery James