Mokobé, hip hop Africa

© Fifou

Quand Mokobé a débuté sa carrière au sein du groupe 113 en 1994, il rappait à peine. Dix-sept ans plus tard, il sort son second album solo, Africa Forever, sur lequel il invite quelques rappeurs français comme Soprano et Despo Rutti, mais aussi beaucoup d’artistes africains, dont Oumou Sangaré et le Terminator d’Abidjan, Yorobo, qui a entretemps changé de nom et s’appelle désormais Commandant Barracuda. Toujours à la croisée des routes où convergent les rythmes hip hop et les tam-tams de l’Afrique, Mokobé se révolte, fait danser, nous émeut et nous interpelle. Il parle à RFI Musique de son parcours et de ses combats.

RFI Musique : Mon Afrique, votre premier album solo, a-t-il été un succès ?
Mokobé : Ça a été une grande satisfaction pour moi, j’ai été décoré par le président du Mali, j’ai eu le trophée Aimé-Césaire du meilleur album sur France 2, celui de l’artiste diaspora aux Hip Hop Awards du Mali, la médaille de la ville de Vitry avec 113. J’ai même tourné aux Etats-Unis !

Africa Forever, c’est la suite ?
C’est plus complet, plus profond, plus hip hop. J’ai des morceaux très bruts comme Ça passe tout seul avec Despo Rutti, clairement une réponse à l’affaire Guerlain* et à La Ferme Célébrités, cette émission à la con qui a dévalorisé l’Afrique avec tous les clichés possibles, lions, singes, os dans le nez et feuille entre les jambes. C’était super important pour moi de mettre la lumière là-dessus et de rendre hommage à l’Afrique. Il y a toujours ce pont culturel entre le hip hop et la musique africaine. Le hip hop doit tout à l’Afrique. Tout part de là.

Qui est "50 CFA" ?
C’est un personnage comme tu en trouves plein en Afrique, qui abuse de tous les clichés bling bling et des tatouages. J’avais envie de créer un personnage, j’ai pris 50 Cent, le modèle de tous les blédards qui se prennent pour des Américains, et je l’ai transformé en "50 CFA". Le mec qui joue le rôle dans le clip, MC Diallo, est un phénomène du web, il est super marrant.

Le rap français a un public très jeune, qui ne connaît pas forcément le 113. Vous en tenez compte ?
Quand je fais un disque, ça parle à d’autres gens, je le vois via Facebook, Twitter ou sur le terrain. Quand je fais un morceau comme Oulala, les enfants sont complètement "bousillés". Des fois dans la rue, je vois des mômes de quatre ans qui sont tétanisés : "Mais si, c’est lui, celui qui chante la chanson qu’on écoute tous les matins !" Le public est hyper large, à nous de faire son éducation. Dans mes concerts, je joue du 113 à l’ancienne, Les Princes de la ville et Ouais Gros.

Vous avez beaucoup évolué depuis les débuts du 113…
Je n’aurais jamais imaginé faire un album solo aux débuts du 113, je ne rappais presque pas. J’étais hyper impliqué mais je ne me voyais pas raconter la même chose que Rim-K et AP. Au fur et à mesure, j’ai pris confiance, et maintenant c’est mon deuxième album solo.

Votre vrai premier morceau solo, c’était quoi ?
C’était Tonton D’Afrique en 1999, sur le maxi Jackpotes 2000. Je me souviens que DJ Mehdi, paix à son âme, était là et a validé, il était très fier. Je l’avais eu au téléphone pour cet album et il m’a donné de la force, il m’a encouragé. Pour en revenir à Mehdi, on lui doit énormément. On aura beau faire des albums avec le 113, notre classique, c’est Les Princes de la ville, quoi qu’il arrive. Quand j’ai appris sa mort, j’ai pété un câble, je n’y croyais pas. C’était une nouvelle atroce. Jusqu’à aujourd’hui, on a du mal à s’en remettre. Mehdi, il faisait l’unanimité. Pour moi, c’est le plus grand compositeur du rap français. Il va nous manquer énormément.

Qui a produit l’album Africa Forever ?
Beaucoup de jeunes. J’aime les nouveaux talents, ils ont la niaque. Celui qui a fait Taxiphone et Ya Fama c’est Fred Joly, un Suisse blanc que je n’ai jamais rencontré. On se parle par mail, le web, c’est un truc de fou. On dirait que c’est un Noir quand tu entends ses sons ! Un compositeur m’a fait des musiques pendant la guerre à Abidjan, il était enfermé dans son studio pendant que ça tirait dehors, il s’appelle Champy Kilo, c’est le meilleur en Côte d’Ivoire en ce moment. Sinon j’ai Skalp et Blastar qui font les gros singles, mais les autres sont des inconnus.

Vous avez invité le chanteur jamaïcain Jah Cure sur la chanson qui donne son titre à l’album…
J’ai failli ne pas l’avoir. Il a fait huit ans de prison, il était enfin sorti. Il faut savoir que les Jamaïcains sont durs en affaires. En plus, il venait de faire une chanson avec Rick Ross et Keri Hilson. On était à l’hôtel, il demandait plus d’argent, je lui ai dit que j’allais m’en aller, que ça avait été plus simple de faire une chanson avec Buju Banton. Là il me dit d’attendre, il se branche sur Youtube, il me voit à côté de Buju Banton qui lâche "AP, Rim-K, Mokobé !" Il s’est excusé, m’a appelé "Brother". En plus, Buju avait mis de l’argent pour payer sa caution. On a enfin été en studio, et Jah Cure m’a fait une "tuerie".

*Jean-Paul Guerlain, parfumeur français, tenait des propos racistes lors d'une interview télévisée le 15 octobre 2010

Mokobé Africa Forever (Jive-Epic/Sony Music) 2011