Youssoupha, l'hymne à l'amour
Après deux albums d'une rare densité et un procès qui lui intente le polémiste Eric Zemmour, c'est le grand retour de Youssoupha, rappeur à texte, avec un album consacré à l'amour. Son titre ? Noir Désir. Tout un programme, avec en bonus un hommage au musicien congolais Tabu Ley Rochereau, son père.
La notoriété est un curieux concept. On aurait aimé croire que le talent seul était le moteur pour y accéder, mais la réalité est toute autre. Youssoupha, rappeur trentenaire, déjà auteur de deux albums très appréciés du public hip hop, aurait pu devenir un de ces artistes acclamés par le grand public grâce à ses textes conscients, à sa plume acérée, à ses musiques métissés qui empruntent aux sonorités africaines aussi bien qu’aux rythmiques rap.
Mais c’est une ligne de son texte fleuve À force de le dire qui a plongé Youssoupha Mabiki sous la lumière des projecteurs : "À force de juger nos gueules les gens le savent / Qu’à la télé souvent les chroniqueurs diabolisent les banlieusards / Chaque fois que ça pète on dit que c’est nous / Je mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Eric Zemmour". Une rime qui a déclenché une salve de ripostes.
Youssoupha résume : "Pour tout dire, j’étais un peu fâché avec Zemmour à cause de ses propos, ses chroniques sur l’immigration, sur le rap qu’il appelle une sous-culture. Il a porté plainte contre moi pour menace de mort. S’en est suivi une procédure judiciaire absolument fastidieuse, exagérée par les médias, par nous, par lui, par son avocat, ça a pris des proportions dingues. Il y a eu un jugement en septembre dernier, j’ai perdu, on est en appel, c’est donc relancé pour quelques mois. Un peu relou mais c’était nécessaire, ou pas, en tout cas, affaire à suivre".
À quelque chose malheur est bon : Youssoupha a rétorqué de deux façons, avec un titre fort, Menace de mort, et avec une tribune publiée dans le quotidien Le Monde. Que certains ont trouvé trop bien écrite pour être vraie. Un comble. Youssoupha reste philosophe : "Déjà j’ai eu la chance d’avoir cette tribune, la classe ! Et je l’ai entièrement écrite moi-même, même si ça n’est pas mon métier à la base. Ce que j’ai apprécié, c’est que sur le net, il y a quelques sites très, très à droite, qui ne sont pas spécialement des passionnés de rap français, qui ont tendance à nous taper dessus et qui sont plutôt fans de monsieur Zemmour; et j’ai ressenti une espèce de jubilation à voir les commentaires sur ces sites un peu fachos. Ils disaient : 'Si c’est lui qui a écrit ça, moi je suis Jeanne D’Arc'. Ce genre de commentaire fois trente, fois cinquante. Je me suis dit que là, je marquais un point. Ils ne m’attendaient pas sur ce terrain et ils sont assez bêtes pour penser que je ne savais pas écrire. Ça veut dire que j’ai touché ma cible".
Noir désir
Parmi les nombreuses (bonnes) surprises du troisième album de Youssoupha, on trouve Les Disques de mon père, un hommage à l’immense musicien africain Tabu Ley Rochereau, alias "le grand Seigneur Ley", son papa. "Il a été le premier musicien africain à monter sur la scène de l’Olympia, il y avait Gilbert Bécaud, Claude François dans la salle, c’était incroyable", raconte Youssoupha, qui s’est réconcilié avec ce père aux 70 enfants recensés (oui, vous avez bien lu) et l’a invité sur le morceau. "Je n’étais pas vraiment brouillé, c’était plus de la distance. Je n’ai jamais grandi avec mon père, je l’ai rencontré, mais à des intervalles très espacés. Il a eu des ennuis de santé, mon fils venait de naître et j’ai eu envie d’aller le voir. Ce sont des retrouvailles qui m’ont beaucoup enrichi en tant que père, en tant que fils, en tant qu’artiste. Et j’ai osé faire ce que je n’aurais pas imaginé encore récemment, enregistrer une chanson avec lui. Je ne pouvais pas éternellement lui reprocher cette absence de père artiste superstar, parce que même si je n’ai pas la carrure qu’il a pu avoir, mon fils pourra peut-être me reprocher la même chose plus tard. Le retrouver m’a permis de nuancer tout ça, et il m’a aidé à faire ce titre qui par la force des choses est mon préféré de l’album, on peut comprendre pourquoi facilement".
Le titre de l’album : Noir Désir. Un clin d’œil au groupe de rock bordelais ? "Quand on me demandait de quoi allait parler l’album, j’ai dit 'd’amour'. Ça a fait marrer tout le monde. 'C’est quoi, c’est Plus Belle La Vie ? Un film de Lelouch ?' Non, c’est l’amour dans toutes ses nuances, le désir, l’espoir, l’ambition, les moteurs de l’émotion humaine. Et comme la négritude est un thème récurrent chez moi, j’ai imaginé ça. Bien sûr j’ai pensé au groupe que je connais, même si je ne suis pas un fan de la première heure. Et ça ajoutait dans l’imaginaire collectif, une notion militante qui me plaisait bien. Je savais aussi que ça susciterait la curiosité. Et Noir Désir a toujours été proche du rap. Ils ont fait tourner La Rumeur en première partie d’une de leurs tournées. Ironie du sort : j’avais annoncé le titre de mon album dans une émission de radio pour la première fois, et trois jours plus tard le groupe se séparait".
Youssoupha Noir Désir (Believe) 2012
Concert à l’Olympia (Paris) le 7 mai 2012.