Dans son nouvel album, Hungry Dirty Baby, la rockeuse Mademoiselle K abandonne le français pour la langue de Shakespeare, la formule à quatre pour le trio… Un changement de cap qui lui valut d’être évincée par son label. À la tête de sa propre maison de production, Kravache, la chanteuse livre aujourd’hui un disque à vif, aux accents soul, blues, et grunge, qui revisite les genres, l’identité et la sexualité. Rencontre.
"Je me sentais comme un hamster dans sa roue, prisonnière de cette étiquette de 'rockeuse en français'." Avec ses cheveux en pétard, son allure de punkette, Mademoiselle K, ne mâche pas ses mots, débités à 2000 à l’heure. Avec son énergie que l’on sent bouillonnante, elle ne saurait s’ennuyer : au cul des habitudes, elle donne ce coup de pied, envoie valser la somnolence artistique, change de cap.
Avec son nouvel opus, Hungry Dirty Baby, direction l’anglais, donc, langue de ses héros, de Radiohead à The Cure, idiome du "kiff" et de ses fantasmes. "Ce changement de langue implique un renversement total des repères", dit-elle. Le bouleversement s’accompagne ainsi d’une refonte du groupe : remplacement du batteur, et réduction des effectifs, de quatre membres à la formule trio, compositions de la demoiselle à la basse, devenue maîtresse du groove... "J’étais flippée. Mais ça sonnait ! Le jeu à trois bouleverse l’équilibre : chaque musicien se révèle plus responsable." En concert, Mademoiselle K teste la nouvelle mouture, bien arrangée, libère ses énergies, savoure son émancipation…
Virée de son label
Las, l’envol loin de ses sentiers coûte cher. Sa maison de disque – EMI, devenue Warner – ne l’entend pas de cette oreille. "Depuis deux ans, je travaillais cet album sur mes propres deniers. J’ai demandé à mon label de lever l’option. Leur réponse, en forme de question : as-tu des textes en français ? Résolument non ! Je revenais juste de Londres, et ne leur avais jamais caché mon ambition : pas question, pour moi, de couper la poire en deux, de faire des concessions artistiques.Le boss de Warner n’a même pas voulu écouter mon disque. Ses arguments ? Tu vas perdre ton public ! Refus de signer… Fin de l’histoire."
Ses rendez-vous avec d’autres labels brisent l’excitation : toujours cette réclame du satané album "en français", alors que celui-ci, en anglais, vibre dans ses tripes. Qu’à cela ne tienne. La demoiselle, bravache, fonde sa propre maison de production, Kravache. "Ce nom, petit clin d’œil sado-maso et autostimulant, symbolise le combat, l’énergie mise en route, pour avancer, tenir les rênes et le tempo, convoquer le courage, et entretenir la flamme, le kiff, les propager… "
Mademoiselle K a quitté la roue. Mais aussi son confort. Pour rire, elle cite deux références, glanées ici ou là : Johnny Hallyday ("La liberté, faut la payer") et Nietzche ("La Liberté, c’est la solitude"). "Je confirme les deux !" sourit-elle. "Je me disais : dans quelle m…..te fous-tu ?Mon désir était le plus fort. Comme l’amour."
Un côté cambouis
Alors, bien sûr, cette échappée belle s’entend sur les pistes d’Hungry Dirty Baby. Écorchées vives. Si elles empruntent au sens mélodique de Radiohead, elles possèdent aussi l’énergie brute de décoffrage de The Cure, une profondeur soul, blues, mais aussi l’aspect "cradingue" du grunge : "Il y a, certes, un côté cambouis. J’aime parler de saleté, de sexe, entre premier et cinquième degré. Mon album précédent était beau, léché. Là, Je voulais être interpelée. La première dérangée par ce qui sortait de moi, comme lorsque j’ai écrit Crève. Un engagement par les tripes, corps et âme. En général, ma mère valide : elle me prend sévèrement la tête sur les titres de cet acabit. C’est comme les peintures de Freud ou Bacon. Tu ne trouves pas ça forcément beau, mais ça te secoue ! Un choc. Un acte artistique."
Hungry Dirty Baby résonne donc de sons coups de poing, que viennent sublimer les couleurs riches, apportées par le réalisateur britannique Richard Woodcraft (Arctic Monkeys, The Last Shadow Puppets…).
Questions de genre
Dans ses textes sans concession, écrits avec le cœur et l’urgence, Mademoiselle K parle d’identité, d’homo-, trans-, ou bisexualité. Ces indécisions, ces troubles de genre, ces lignes de faille la fascinent. Citant pour appui, sur ces sujets, le film de François Ozon, Une Nouvelle Amie, avec Romain Duris, ou encore la série The L Word, la chanteuse affirme : "J’ai envie de casser toutes ces règles, ces frontières, de redéfinir les identités. Dans mon disque, je recrée virtuellement des couilles que j’aimerais bien avoir", rigole-t-elle.
Sur la photo de son album, inspiré d’un caveau du Père-Lachaise, l’artiste, recouverte de peinture, pose nue et bras croisés, sous une croix : un symbole qu’elle porte sur ses épaules et qu’elle transcende, piste à piste. Dans ce disque en forme de "rupture" avec ses univers précédents, la chanteuse a réglé ses complexes et ses démons : "J’ai travaillé quatre ans sur cet album, j’ai gardé le meilleur. Comme l’impression d’avoir mené un combat et d’être arrivée au bout. Je ne dois rien à personne. Ceux qui veulent me descendre ne m’importent guère : je me suis descendue et ai ressuscité moi-même. J’y ai mis toute mon âme…".