RFI Musique : Parlons de votre nouveau disque et de votre travail…
Arno : (Il coupe) Je n'ai jamais travaillé. Je fais de la musique, ce n'est pas du boulot pour moi.
Vous dites souvent que vous êtes impulsif, que vous enregistrez vos albums assez vite. Mais est-ce que cela ne cache pas beaucoup de doutes ?
Je me cache aussi derrière l'excuse du surréalisme, c'est pour ça que mon disque s'appelle Human Incognito. Je prends le surréalisme pour dire des choses, mais mon inspiration est autour de moi, je suis un voyeur. L'être humain m'inspire beaucoup, ses traces, toutes les conneries qu'il fait… et moi aussi, je fais partie de ça.
C'est-à-dire ?
Aujourd'hui, le monde est en train de changer, c'est formidable. Moi, je viens d'une autre génération. J'étais jeune dans les années 60 : c'était la première fois que les jeunes construisaient une nouvelle culture. Mon père a vécu une guerre mondiale, mon grand-père, deux, et je suis la première génération qui n'a pas connu ça. C'était le changement, le rock, la révolte contre le système. Et maintenant, on est dans une autre révolte, mais c'est tout le contraire. Le conservatisme a une érection comme la Tour Eiffel, les extrémistes donnent à manger aux autres extrémistes.
Dans la chanson Je veux vivre, vous rêvez "d'un monde sans papiers", "où les riches et les pauvres n'existent plus", où "les chiens et les chats s'embrassent" et dansent "une ramba". Est-ce une façon de dire que le monde déraisonne ?
Je parle d'une utopie, cela n'existe pas. En plus, si le monde devient parfait, je suis dans la merde, parce qu'après, je n'ai plus d'inspiration. C'est l'être humain qui donne ça, pas un poisson dans un bocal, un canari dans sa cage ou le chien de Tintin.
Que pensez-vous des évolutions de la musique ? Est-ce que les musiques électroniques vous parlent ?
J'ai déjà fait ça dans les années 80. TC Matic mélangeait le rock et la musique synthétique. L'album précédent a été composé avec des synthétiseurs. Mais celui-ci, c'est basse, guitare, drums, et il y a même des cuivres, ce qui est très rare dans ma musique. Je n'ai rien contre la musique électronique, j'adore ça, mais je n'en avais pas envie maintenant. J'ai voulu faire quelque chose de plus organique, ce qui est le contraire de ce qui se passe aujourd'hui.
Sur ce disque, vous avez travaillé à nouveau avec le producteur anglais John Parish, comme sur Future Vintage (2012). Qu'est-ce qu'il apporte à votre musique ?
La confiance en moi. Il est là ! Je lui demande ce qu'il pense, et il me dit : "Ok Arno, let's do it again !" J'aime aussi être à Bristol pour mixer. Il a un studio formidable avec des anciennes tables de mixage. Le son de l'album, c'est lui. Mais il y a aussi une femme qui est très importante, c'est Catherine J Marks. Elle est technicienne, John a déjà travaillé avec elle sur des albums de PJ Harvey. C'est elle qui a branché les micros dans des trucs incroyables. J'ai eu un son comme ça dans ma tête, mais elle a traduit ça. Ce que je n'aime pas, c'est écouter de la musique avec... (il mime des écouteurs), le son est dégueulasse, c'est trop aigu. Moi, j'aime bien le son des anciennes sono, avec du fond.
Le son très râpeux que vous avez me rappelle justement PJ Harvey et Nick Cave...
Ah… (long silence, comme Arno en laisse souvent) Nick Cave, on a fait des tournées avec lui au temps où il jouait avec The Birthday Party. Mais ce n'est pas lui qui a inventé ce son.
En effet, il a beaucoup écouté Captain Beefheart !
Moi aussi, je suis fan de Captain Beefheart (1). Une chanson absurde, c'est un peu un clin d'œil à Captain Beefheart. Tu sais, un de mes grands fans, c'est son guitariste. Quand je joue à New York, il est toujours là.
Qu'est-ce que vous écoutiez quand vous étiez adolescent ?
Ma jeunesse, c'est The Kinks, The Small Faces, The Pretty Things, et quand j'ai eu 16 ans, j'ai eu un prof de morale qui était aussi musicien. Il m'a donné quatre disques, il m'a dit : "Je sais que tu écoutes les Rolling Stones, mais toute leur musique, elle vient de ces gens-là... " C'était des disques de Sleepy John Estes, Sonny Boy Williamson, Muddy Watters et Fred McDowell, de l'afro blues, et depuis, je suis accro au Delta blues. Sans le blues, il n'y a pas le rock'n'roll, il n'y a pas Elvis Presley. Keith Richards joue comme Chuck Berry, tout ça vient de la black music. Le blues, la Tamla Motown, tout ça, c'est 'le bazar'! Quand j'étais jeune, à Ostende, il y avait un club qui s'appelait Le Groove, qui passait les disques de la Motown, d'Atlantic et le patron, Freddy, a pris Marvin Gaye quand il était en Belgique. C'est comme ça que je suis devenu son cuisinier pendant huit mois.
Vous êtes parmi ceux qui ont installé le rock en Belgique et cela fait maintenant cinquante ans que vous faites de la musique. Comment traverse-t-on autant d'années sans jamais devenir sa propre caricature ?
En étant critique envers soi-même, jamais content. Comme je suis très impulsif dans tout ce que je fais, j'en paye aussi les factures. Quand je fais un album, je ne l'écoute plus, je le donne au public et ce n'est que dix ans après que je peux le réécouter. J'ai déjà fait des chansons dont je me disais : "Ouille, merde, c'est pas bon !". Ou d'autres que je réécoute vingt ans plus tard en me disant : "Oh, c'était quand même bien !" C'est pour ça que je fais de la scène, les chansons changent. Et puis, c'est le public qui décide ce qu'il aime ou ce qu'il n'aime pas. En plus, je ne veux pas que tout le monde m'aime, ce n'est pas possible.
Et si on devait rajouter une chose à dire à propos de votre album Human Incognito ?
Il manque l'odeur ! (rires)
Arno Human Incognito (Naïve) 2016
Site officiel d'Arno
Page Facebook d'Arno
(1) L'américain Don Van Vliet, alias Captain Beefheart (1941-2010) a connu une carrière souterraine avec son groupe, the Magic Band, chantant notamment sur les disques de son camarade d'université Frank Zappa. Très inspiré par le blues, il a personnifié le non-sens musical avec son album Trout Mask Replica (1969) et inspiré des chanteurs comme l'Australien Nick Cave, l'anglais Tom Waits ou… Arno.