Sally Nyolo et l’esprit du balafon beti
Avec La Nuit à Fébé, enregistré en partie dans le studio qu’elle a construit au Cameroun sur les hauteurs environnantes de Yaoundé, Sally Nyolo fait partager sa découverte du mendzang, et donne à ce balafon traditionnel toute sa place dans son approche du bikutsi.
RFI Musique : Quelle était votre envie directrice lorsque vous avez abordé la préparation de ce nouvel album ?
Sally Nyolo : Redonner un autre visage aux histoires que je raconte à travers un rythme que j’ai épousé, le bikutsi, originaire de la forêt des Eton où je suis née. Sur quelques albums, j’en ai parlé avec des voix, comme les chants a cappella de ces femmes qui le pratiquent là-bas. Cette fois, ça passait par les instruments, comme le mendzang, le balafon des Beti que j’ai entendu dans cette forêt quand j’étais enfant. La première fois que je l’ai touché, je crois qu’il y a eu une transmission de l’instrument à moi : pendant un an, je ne l’ai pratiquement pas lâché. Et toute la trame de l’album a été écrite sur le mendzang.
Qu’est-ce qui vous a décidé à vous mettre à cet instrument ?
Je n’osais pas le prendre puisque je n’ai pas été initiée aux instruments de musique. J’ai quitté ce Cameroun quand j’avais douze ans, donc tout ce que j’avais emmagasiné dans ma préadolescence est ressorti ensuite dans mes albums. Continuer à pratiquer les langues beti a été un capital pour approcher le rythme bikutsi. Mais je n’avais jamais touché un balafon. À l’époque de Studio Cameroun, j’ai voulu "donner la main" à quelques artistes pas connus du tout, comme ce maître balafoniste Essono Zibi Leonard. Après un concert au Portugal, en repartant au Cameroun, il n’a pas voulu s’encombrer avec le balafon qu’il avait fabriqué pour l’occasion et il me l’a donné. Je me suis penchée dessus toute seule et j’ai essayé de capter l’âme, la magie de cet instrument.
Avez-vous d’abord écrit les chansons de La Nuit à Fébé en France avant d’aller les enregistrer au Cameroun, comme pour votre précédent album Mémoire du Monde ?
Oui, je procède souvent comme ça. Je vis en Normandie depuis cinq ans, et j’ai un petit espace où j’avais préparé beaucoup de pistes. Avant de partir là-bas mettre un peu de sel et d’épices pour compléter ces enregistrements, j’étais allée voir mon ami Paco Sery, un musicien avec qui je voulais partager mon aventure et qui était batteur lors de mes premières scènes avec l’album Tribu. Quand j’ai mis la maquette du premier morceau, il a arrêté de préparer le riz qu’on devait manger. Il ne s’est pas assis, il était devant moi, les baguettes à la main, et il dansait ! Je suis partie au Cameroun très confortée. Et à Fébé, la nuit à un son que je n’avais entendu nulle part ailleurs et que je voulais enregistrer.
De quoi est fait ce son ?
Guizmo, le chanteur de Tryo, est à vos côté au micro sur Miss Silicone. Comment vos routes se sont-elles croisées ?
On se fréquente depuis six ou sept ans. C’est quelqu’un d’ouvert, qui me connait depuis mes années au sein de Zap Mama. Avec le projet Désert Rebel, il a essayé de se pencher sur les problèmes des Touaregs. J’avais composé un morceau pour ce disque et comme les enregistrements ont eu lieu chez lui, on a eu le temps de s’apprécier. Après, il a refait un album avec Tryo et il m’a appelé pour que je vienne me mélanger à eux sur une chanson. Cette fois, je me suis dit que ce serait bien de retourner l’invitation. Miss Silicone est un thème que j’avais touché du bout des doigts sur Multiculti. J’avais mis un micro d’ambiance parce que j’habitais à l’époque dans le quartier de Château-Rouge à Paris et les gens faisaient la queue sur les trottoirs pour acheter ces produits qui vous transforment, vous décolorent.
L’influence du reggae se perçoit aussi dans certaines de vos chansons, comme ce fut déjà le cas par le passé. D’où vient-elle ?
A la période où je suis arrivée en France, le reggae faisait partie des musiques que je découvrais. J’ai eu la chance de voir en concert celui qui le chantait si bien, Bob Marley. Ça a été vraiment une rencontre, une révélation. Même quand je suis dans le 6/8 le plus puissant, selon là où je place la calebasse, on a cette couleur reggae. Ce n’est pas du reggae conventionnel parce que je ne sais pas le jouer mais je flirte avec cette forme de reggae depuis un bon moment et j’adore ça !
Sally Nyolo La Nuit à Fébé (Sony) 2011