Zaz enchante l'Europe

Zaz enchante l'Europe
Zaz sur l'esplanade Saint-Jean d'Acre de La Rochelle © b. brun

On n’avait plus vu depuis des années un artiste conquérir une telle notoriété à l’étranger avec des paroles en français. Et si la jeune chanteuse Zaz, dont le premier album est sorti il y a un an, plaisait justement parce qu’elle raconte une France différente des clichés ? Décryptage.

Cela faisait longtemps qu’une chose pareille n’était pas arrivée à la chanson française. Il y avait, bien sûr, les aventures de tel ou tel groupe de pop en anglais quelque part dans le monde ou les voyages de la French Touch un peu partout. Mais on n’avait plus entendu parler d’étrangers amoureux d’un disque en français depuis belle lurette. Parfois, comme pour confirmer une règle par quelques exceptions, des communiqués de tel ou tel organisme public applaudissaient fièrement la percée d’Alizée au Mexique, la fidélité du Japon à Clémentine, les performances étonnantes de Jean-Michel Chevry en Russie… On s’était habitué à considérer comme révolue l’époque où le monde entier chantait Édith Piaf ou Charles Aznavour. Il restait aux historiens à dérouler la litanie des symboles, comme le dernier voyage de l’immense chanteuse réaliste Damia pour des foules de nostalgiques au Japon en 1953…

Or voici Zaz, fée gouailleuse qui a vendu son premier album éponyme à 700.000 exemplaires, dont un gros tiers à l’exportation (notamment en Allemagne, où elle a été couronnée par plusieurs prix). Cela malgré toute une série de singularités qui, normalement, auraient dû la maintenir à l’intérieur de nos frontières linguistiques : elle chante en français, elle n’appartient à aucun genre musical "international", elle n’est pas soutenue par une lourde machine marketing, elle ne ressemble pas aux personnages sexy ou soigneusement scandaleux qui monopolisent la gloire planétaire depuis quelques lustres… Il faut bien se demander pourquoi une aussi divine surprise arrive à la chanson française au moment où celle-ci commence à douter, après des années de crise qui ont laminé les maisons de disques et alors que, de toutes parts, on constate l’essoufflement des mécaniques qui, jusqu’à présent, assuraient l’émergence à chaque saison de nouveaux talents francophones.

Ni dépaysée ni dépaysante

En fait, il s’agit plus d’une victoire de Zaz que d’une embellie pour la chanson française. Car une bonne part de sa séduction est idiosyncrasique, et semblable pour un spectateur de Toulouse, de Berlin ou de Rotterdam. À la fois rentre-dedans et sentimentale, bohème et subtile, rêveuse et prosaïque, Zaz touche aussi bien le public des intellectuels précaires qui goutent son petit air je-m’en-foutiste et ses grands pantalons bouffants de néo-baba, que la clientèle renouvelée à chaque génération des adolescents se berçant de mots insolents et de désespoirs en rafales. Comme Zaz a chanté dans les rues de Montmartre ou donné des concerts avec un groupe de world music hispanique, comme elle a été chanteuse de jazz et exploratrice du grand répertoire international de la chanson française, elle a conservé dans la voix et dans le ton un peu de chaque idiome. Aussi n’est-elle jamais tout à fait dépaysée – ni dépaysante. Elle a quelque chose de manouche, quelque chose de latin, quelque chose de franchouillard et même, à l’occasion, des séductions de chanteuse à voix ou des élans de rock festif.

Elle n’appartient à aucun genre et les englobe tous. Et, de ce point de vue, son rapport à sa francité est exemplaire : un timbre ébréché à la Piaf, une dégaine à la Manu Chao, une appartenance revendiquée à une France largement ouverte sur des influences d’Europe de l’Est et du Sud, des Amériques ou de quelques Orients rêvés… Cela fait de Zaz une Française échappant aux archétypes, aux cartes postales de la Tour Eiffel ou de la Butte Montmartre. Une Française d’aujourd’hui, vaguement héritière de Juliette Gréco et d’Yvette Guilbert mais compatible avec l’altermondialisme et la morale hédoniste de sa génération partout en Europe. Une Française nouvelle que, soudain, le regard étranger débusque parmi nos succès hexagonaux du moment.

Zaz Zaz (Sony Music) 2010