Ya Levis au Pépélé : une soirée "chill" et chaude !
Samedi 16 septembre au soir, la soirée de rattrapage du Pépélé Festival, consacré à l'amapiano et à l'afrobeats, enflammait un club de Pantin en région parisienne. Au menu ? Ya Levis, Pheelz et Teraphonique.
30 juin dernier – alors que toute une équipe s'affairait au Point Fort d'Aubervilliers, pour lancer une soirée ambiancée comme jamais, pour la deuxième édition du festival Pépélé, rendez-vous incontournable des aficionados d'amapiano et d'afrobeats, la nouvelle tombait comme un couperet, à l'heure de l'ouverture des portes : suite aux émeutes dans les banlieues, consécutives à l'assassinat de Nahel, l'évènement a été annulé.
Autant dire que cette édition de rattrapage, samedi 16 septembre, au Nexus, club techno-house de Pantin, sis dans un entrepôt industriel, avait un goût de revanche. Aux manettes ? Nadim Makhlouf, baron des nuits parisiennes bien chaloupées qui, en cette fin d'après-midi, checke le son, les projections vidéo, le bar… Décollage imminent !
Avec Casabey, sa structure, ce quasi quadragénaire, "visionnaire" ravive les couleurs des fêtes de la capitale depuis 2005. Issu de la street dance, il lance les soirées "Back in the days" consacrées à la naissance du hip hop, puis "Classics Only", dès 2015, dédiées au meilleur du rap et du r'n'b des années 2000. On lui doit parmi les premières scènes parisiennes des Migos, de Travis Scott, de Kaaris, de Vald ou d'Ichon, avant, dit-il, "l'arrivée de gros acteurs mondialisés." Car l'homme renifle l'air du temps. Toujours un coup d'avance. "Je reste attentif aux musiques qui sortent des voitures aux feux rouges…", confesse-t-il.
Ainsi Nadim a-t-il senti, un peu avant les autres, la révolution amapiano, ce style électro jailli des ghettos de Johannesburg, mix de deep house et de lounge, aux nappes synthétiques aériennes et cadencées. À l'été 2020, alors qu'il organise des soirées sur le roof top de l'Institut du Monde arabe, il saisit cette fièvre afro qui s'empare du public, lorsque les DJs jouent Wizkid ou Burna Boy et balancent les premiers titres amapiano, avec des héros comme Dre Tala, Siba ou Armel Bizzman.
"Le messager de l'amour"
Durant le covid, la contagion se répand comme une traînée de poudre. Sur les réseaux, la planète entière vibre "amapiano". Il ne lui en faut pas plus pour lancer le festival Pépélé. Employé par Ninho, ce mot, "pépélé", signifie en lingala "pépère, chill, tranquille, relax"... Mais on doit le nom de la manifestation au tube d'un autre artiste présent ce soir-là, Ya Levis, d'origine congolaise, surnommé le "messager de l'amour".
Et il faut dire qu'il porte à merveille son pseudo : ce soir, il en balance des tonnes – de l'amour ! – et envoie des kilos de testostérone sur le public féminin, sapé comme jamais, compact et transpirant, massé depuis trois heures contre les crash barrières, à hurler son nom, avant qu'il n'apparaisse enfin vers minuit, flegmatique et ondulant du bassin, sous des cris hystériques. Et quand il enlève sa veste, pour laisser paraître ses muscles saillants, sous un marcel moulant immaculé, la chaleur grimpe encore de quelques degrés.
Tel un roitelet, Ya Levis, 29 ans, né Prince Nemiala à Kinshasa, avant de déménager, à cinq ans, en banlieue parisienne, s'envole de sa voix de tête dans les aigus, délivre ses mélodies comme autant de sortilèges, agrémentés de paroles torrides — "Confie-moi tes désirs, j'suis ton baby boy/Ton objet de plaisir, j'suis ton baby boy", qui paraissent aller droit au cœur de chacune de ses fans.
De sa voix la plus sensuelle, il invite les "filles célibataires, ses 'chéries' à le rejoindre sur scène", avant d'entamer avec elles des danses collé-serré. "Ya Levis, c'est le secret le mieux gardé de France, analyse Nadim. Pourtant, il tourne dans toute l'Afrique, en Australie, etc.". Ce soir, ce secret n'en est plus tout à fait un…
Une base non négociable de rumba
L'après-midi même, le chanteur, avec son staff — son bodyguard, son manager, son community manager, nous accordait un entretien. À la cool. Décontracté. "Pépélé..." Avec une casquette rouge, quasi-incognito. Son père chantait de la rumba dans un orchestre : ses racines.
Fan de Michael Jackson, d'Usher, de Chris Brown, il danse, ado, dans des troupes, avec son frère, avant de se lancer, à 16 ans, dans la musique, seul sur son PC, malgré les mises en garde de sa mère, jugeant ce milieu dangereux et malsain.
Mais l'appel à suivre la route de son père, mort alors qu'il était enfant, se fait urgent. "D'emblée, j'ai voulu créer mon langage : un mix d'afrobeats, de r'n'b, de zouk, de kizomba, sur une base non négociable de rumba… Ma voix ? Je l'ai forgée en autodidacte. Pour mes créations, je pars de mélodies, sur lesquelles fleurissent mes paroles. J'ai travaillé d'arrache-pied pour trouver ma signature. Sans relâche, j'écoute tout ce qui se trame dans le milieu afro — ndombolo, rumba, afin de me frayer mon chemin", confesse ce perfectionniste assumé, fan de King Kester Emeneya, Papa Wemba, Bozi Boziana, JB Mpiana, Fally Ipupa ou Ferre Gola…
Ya Levis, qui effectue désormais des allers-retours réguliers au Congo, a même fait des collaborations avec Koffi Olomide et le Tanzanien Diamond Platnumz : "Un grand frère, une source d'inspiration : un être humain humble, visionnaire, doublé d'un véritable businessman."
Quant à son obsession pour l'amour —son dernier disque s'appelle LCLM pour L'amour change le monde, elle reste assurément sa marque de fabrique. Un "côté poetic lover, rose bonbon" selon Nadim, une attitude sensuelle, qui lui a valu la censure en France, pour ses clips Nakati ou Candy Shop, jugés scandaleux.
Ce soir-là pourtant, au Nexus, toute censure vole en éclat au gré d'un show débridé et joyeux, durant lequel le héros égrène ses tubes, en lingala, anglais ou français : Chocolat ("Là, je ressens ton envie de chocolat/ choisis ta pièce et ta position"), ou encore son méga hit, en clôture, Katchua. ("Si j'étais une larme, je naîtrais de tes yeux/ pour caresser ta joue et mourir sur tes lèvres"). "Promis, je reviendrai vite !", assure-t-il, avant de laisser la place à Pheelz.
L'Afrique, tout en Finesse
Pheelz, c'est Philips Cayode Moses, un producteur, auteur-compositeur et chanteur nigérian né en 1994, à Lagos, à qui l'on doit notamment le tube Finesse, succès viral et international, repris ici en chœur, catapulté dans le Billboard 200. Sur scène, ce géant laisse lui aussi tomber la chemise sur son torse nu soutenu par une large ceinture dorée, déchaînant les pâmoisons, avant de diffuser les sensualités estivales de son autre hit, Pheelz like summer. "I need african energy, I need black skin energy, you are african and you are proud ! Make some noise !", hurle-t-il.
Et c'est bien cette fierté et cet esprit bon enfant qui plane sur la soirée jusqu'à l'aube aux sons des samples du DJ amapiano Teraphonique à qui l'on doit le tube Mob Tie. Et les trends de mitraillettes de fuser, sous formes de nuages de fumée. "Kéké comme jamais !", rigole Nadim… "Je trouve qu'il y a une forme de communion, quasi spirituelle, dans l'amapiano. C'est un style qui réunit tout le monde, femmes, hommes, Noirs, Blancs..., se réjouit-il. Il y a ce côté généreux, ce côté 'safe place' presque politique, dans ce courant, qui accompagne le mouvement Black Lives Matter. J'ajouterais qu'en ce moment, le côté afro de Paris explose dans tous les sens ! T'imagines, ce soir, on a hacké une boîte techno ! Le meilleur, c'est qu'on n'a plus besoin d'inventer des termes pour vendre, de se dire 'afro-tech', ''r'n'b progressif', 'urban chic'.. On peut assumer pleinement qui on est… Et faire salle comble !" La soirée Pépélé, aussi chill que son nom l'indique, lui donne parfaitement raison.
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