Christophe
On connaisait sa passion pour le blues américain, le rock version Presley et les belles américaines. Personnage à multiples facettes, Christophe dégageait un certain mystère qu'il ne cultivait pas spéialement, mais qu'il offrait comme une armure à ceux qui veulent l'interviewer.
Daniel Bevilacqua est né le 13 octobre 1945 à Juvisy-sur-Orge en banlieue parisienne. Il est le fils d'un entrepreneur en maçonnerie d'origine italienne. Le jeune Daniel est parfaitement rebelle à la vie scolaire dans laquelle il s'ennuie. Il va donc écumer les pensions et fréquenter pas moins d'une dizaine de lycées jusque vers ses 16 ans.
Il connaît ses premières émotions musicales vers 8 ans. Édith Piaf et Gilbert Bécaud sont ses premières idoles, bientôt supplantés par le blues, véritable révélation pour l'adolescent : il découvre Robert Johnson et surtout John Lee Hooker. Bien plus tard, il collectionnera les 78 tours de blues.
À la fin des années 1950, il reçoit de plein fouet la vague rock'n'roll, les Bill Haley, Little Richard et évidemment Elvis Presley. La musique est devenue sa passion, il joue d'ailleurs de l'harmonica et de la guitare.
Daniel Bevilacqua crée son premier groupe en 1961, Danny Baby et les Hooligans. Il reprennent Gene Vincent, ou des standards rock'n'roll comme "Heartbreak Hotel". Il est chanteur-guitariste.
Premier disque
En 1963, il enregistre son premier 45 tours sur le label de la célèbre salle parisienne, Golf Drouot. "Reviens Sophie", inspiré par la musique noire américaine passe totalement inaperçu.
Il faut en fait attendre 1965 et la sortie de "Aline" sous le pseudonyme de Christophe pour voir arriver le succès. En ce qui concerne ce slow de l'été, il s'agirait plus d'un raz-de-marée car ce sont quelque 1 million d'exemplaires de ce 45 tours sorti chez Disc'AZ qui sont vendus. La même année, Christophe chante les "Marionnettes", nouveau grand succès. Il récidive avec "J'ai entendu la mer" en 1966 et "Excusez-moi Monsieur le Professeur" en 1967.
Un petit garçon prénommé Romain nait en 1967 de sa liaison avec la chanteuse Michèle Torr. Christophe ne le reconnait pas.
Passionné de voitures (entre autres de Cadillac), Christophe s'achète alors des modèles de sport. Véritablement fasciné par les belles mécaniques et la puissance qu'elles dégagent, le chanteur frime au volant de sa Lamborghini. En 1968, il participe même à une course comme pilote.
1973 : "Les Paradis perdus"
À la fin de la période yé-yé, Christophe disparaît comme quelques autres chanteurs, des hit-parades. En 1971, il se marie avec Véronique et devient le père d'une petite fille, Lucie. Mais, ce n'est qu'en 1973 qu'on entend à nouveau parler de lui. Plus exigeant au niveau musical, le chanteur revient avec l'album "les Paradis perdus". Les textes sont signés Jean-Michel Jarre, alors jeune auteur-compositeur inconnu. Christophe a délaissé son look de jeune homme "comme il faut" des années 1960, pour revêtir la panoplie du dandy légèrement décadent chantant d'un air détaché "le Dernier des Bevilacqua" ou le tube "Señorita". En novembre 1974, il passe deux soirs de suite à l'Olympia, pour un show exceptionnel qui marque les mémoires des spectateurs présents.
En 1975, sort l'album "les Mots bleus". Entre pop-star et chanteur de charme, il confirme avec cet album sa place de choix dans la variété française. Mais les feux des sunlights ressemblent parfois au soleil près duquel Icare vient se brûler les ailes. L'Homme est passionné et extrémiste. Dans un moment de vide intérieur, il dérape, de son propre aveu, sur le terrain de la drogue.
L'album "le Beau Bizarre" qui sort en 1978, renforce cette image d'artiste à part, secret et détaché des contingences du showbiz. La majorité des titres sont signés Bob Decout dont "Un peu menteur".
À la demande de sa femme Véronique, Christophe ressort en 1980, le 45 tours "Aline" et aligne 3 millions et demi de ventes. Trois ans plus tard, un nouveau 45 tours "Succès fou" va à nouveau propulser Christophe en haut des hit-parades Quelques 600 000 d'exemplaires seront vendus.
Mais ce n'est que l'année suivante que le chanteur dandy sort un nouvel album de reprises de standards des années 1940-1950. "Clichés d'amour" regroupent des titres comme "Dernier baiser" (version française de "Besame mucho") ou "Arrivederci Roma". En 1985, il va même jusqu'à écrire une chanson-clin d'oeil à l'adresse de la jeune Stéphanie de Monaco, "Ne raccroche pas". Christophe est un artiste insaisissable, flirtant parfois avec le chiqué et le mauvais goût faisant de lui un chanteur pour midinettes.
1996 : "Bevilacqua"
Après un 45 tours passé à peu près inaperçu "Chiqué chiqué" (justement !) en 1988, Christophe change de maison de disques en 1995. De Motors, il passe chez Epic, filiale de Sony et sort en 1996, un album intitulé "Bevilacqua". Véritable disque de retour, Christophe signe pour la première fois les textes de ses chansons, donnant un ton beaucoup plus personnel à cet opus. Très intéressé par la techno et les synthés, attiré par les nombreuses possibilités qu'offrent les ordinateurs, le chanteur a pendant de longs mois bricolé et bidouillé voix, sons et musique dans son home studio.
Ses chansons ne sont pas vraiment écrites sur le modèle couplet-refrain-couplet, elles témoignent plutôt d'un esprit torturé, labyrinthique, voire "barje" comme dirait l'auteur lui-même. Deux titres rendent compte de ses obsessions-passions, d'abord celle de Ferrari avec "Enzo", véritable hymne de neuf minutes au constructeur italien et celle plus souterraine, pour Alan Vega, musicien américain de renom avec "Rencontre à l'as Vega", ou l'enregistrement d'une partie de poker entre les deux hommes. Véritable disque d'ambiance, "Bevilacqua" peut surprendre par sa modernité : Christophe y est lui-même et ne ressemble plus vraiment au dandy crooner des années 1970.
Ce retour remarquable et remarqué est confirmé cinq ans plus tard par un nouvel album tout aussi singulier, "Comm' si la terre penchait". Si l'artiste n'est pas pressé de produire des disques, ce disque prouve qu'il a de toute façon une place essentielle dans la production française. Avec cet album, on se rend compte à quel point le chanteur sait observer et écouter son époque, intégrer les influences et les nouveautés sans en recracher un condensé prévisible. "Comm' si la terre penchait" est du coup un album intimiste et moderne, hors mode. Très instinctif, Christophe a besoin de se garder de longues plages de temps pour ses passions nombreuses hors musique, les voyages, les voitures, le cinéma, une certaine solitude... Il revient donc régulièrement à la musique qu'il pratique, comme le reste, à sa façon, autrement, émotionnellement.
Phénoménal
Le retour sur scène de Christophe, à partir de février 2002, tient du phénomène. D'abord parce qu'il n'était pas monté sur scène depuis 27 ans et surtout, par l'engouement qu'il suscite tel un véritable événement branché. La première a lieu à Clermont-Ferrand, dans le centre de la France, le 25 février avant de rôder aussi son spectacle au Zénith de Caen en Normandie et avant, enfin de remonter sur la scène de l'Olympia, pour deux soirées, une privée une publique, les 10 et 11 mars 2002.
Il l'avait dit, il voulait une mise en scène et une mise en lumière théâtrale pour ces retrouvailles avec la scène. C'est un metteur en scène d'opéra (Vincent Boussard) et un éclairagiste de théâtre (Alain Poisson) qui habillent son spectacle très visuel, limite kitsch, entre magie (séquence du mime), pas de danse (duo chorégraphié par Marie-Claude Pietragalla), imagerie années 1980 et images d'Épinal rock'n'roll (les bottes, les pin up, les voitures). Assis sur un tabouret presque tout le long du show, en avant de son groupe, Christophe mêle dans un ensemble très homogène tubes de toujours ("Señorita", "la Dolce Vita", "Petite fille du soleil", "les Marionnettes"...) et titres plus récents ("la Man", "Enzo"). Sa voix au timbre si particulier est presque intacte. Ces concerts sont de véritables succès publics, mais aussi médiatiques. Une foule de VIP se pressent aux deux soirées de l'Olympia. Mais étonnement, le chanteur est avare de concerts puisque sa tournée n'en compte que huit en six mois !
Il commence à travailler sur un nouvel album en 2004.
2008 : "Aimer ce que nous sommes"
C'est le 30 juin 2008 que sort un nouvel opus du chanteur énigmatique. Enregistré essentiellement de nuit, entre Paris, Séville et Londres, "Aimer ce que nous sommes", réalisé par Christophe Van Huffel (du groupe Tanger) est très représentatif de l'univers de l'artiste. Ambiances feutrées et élégantes, entre chanson et electro, les textes ne sont pas réellement chantés, plutôt parlés. Très inspiré par le cinéma, Christophe invite Isabelle Adjani sur "Wo wo wo wo", chanson qui ouvre l'album. On retrouve aussi au générique, Erik Truffaz, le trompettiste de jazz avec lequel il a déjà joué, notamment au Festival Blue Note à Paris en avril 2004. Deux musiciens de flamenco sont aussi les invités du "Beau bizarre", le guitariste Moraito et le chanteur Diego Carrasco. Il faut compter aussi avec l'éditeur de presse, Daniel Filipacchi pour l'énoncé du générique de fin. Le premier extrait de l'album s'intitule "Mal comme".
Christophe porte sa dernière création sur la scène de l'Olympia, à Paris, les 11, 12 et 13 mars 2009. Ses concerts durent près de trois heures, dont une dernière débridée et joyeusement décalée. À l'été 2009, il poursuit la tournée de "Aimer ce que nous sommes", mais avec une nouvelle scénographie, très chic, signée par le designer Andrée Putman. À ses côtés, des musiciens andalous, la bassiste de David Bowie, Gail Ann Dorsey et le batteur américain Carmine Apice, un ancien du groupe Vanilla Fudge. C'est ainsi entouré qu'il donne un concert sur la scène flottante du bassin de Neptune, dans le parc du château de Versailles, à la demande de son directeur, Jean-Jacques Aillagon. Le spectacle a lieu le 15 juillet à guichets fermés, et Christophe invite sur scène Helena Noguerra, Erik Truffaz ou encore Housse de Racket.
Le chanteur poursuit sa tournée jusqu'à la fin de l'année 2010, en passant par des salles parisiennes aussi diverses que le Théâtre Marigny ou la Cité de la musique. À la fin de l'année, on le retrouve sur le nouvel album de Salvatore Adamo, "De toi à moi", pour un duo inattendu, "Jours de lumière".
En janvier 2011, il joue deux soirs au Palace et participe ensuite à l'album de reprises de chansons d'Alain Bashung "Tels", en remaniant avec tact et amour "Alcaline".
Après une tournée de plus de cent dates, le chanteur se lance un nouveau défi : se produire seul sur scène dans le cadre de son "Intime Tour". Il y revisite son répertoire, dépouillé de toute instrumentation excessive, avec pour seul accompagnement une guitare, un synthé et un piano.
2013 : "Paradis retrouvé"
Après sa tournée et dans le même esprit d’un retour aux sources, Christophe sort un nouvel album le 11 mars 2013, "Paradis retrouvé" dans lequel il ouvre la malle aux trésors. Au menu : treize titres inédits enregistrés entre 1972 et 1982, comme étant des expérimentations musicales.
Cette sortie fait par ailleurs référence à son album "Paradis perdus" qui fête ses quarante ans.
Alors qu’il a prolongé son "Intime Tour", Christophe sort un nouvel opus "Intime" en mars 2014. Ces versions dépouillées font réapparaître de façon éclatante les racines de Christophe : la chanson, le rock, le blues. Le disque rassemble ses grands succès ("Les Mots bleus", "Aline"…), des reprises de Brassens et Bashung et des chansons piochées dans ses derniers albums comme "Lita" ou "Parle-moi de lui".
En juin de la même année, il participe à la 5e édition du festival Villa Aperta qui se tient dans la cour de l’Académie de France à Rome.
L’ex-yéyé apparaît dans le film "Fils de" réalisé par HPG en 2014, dont il compose et interprète la bande originale. On peut également l’apercevoir dans "Juke-Box" un court-métrage de Ilan Klipper et "Le Quepa sur la vilni" un moyen-métrage de Yann Le Quellec.
Ce fan du grand écran compose aussi la musique du film d’"Arrête ou je continue" de Sophie Fillières sorti la même année et celle de "Par accident" de la réalisatrice Camille Fontaine.
Le 31 décembre, il est élevé au rang de chevalier de la Légion d’honneur.
2016 : "Les vestiges du chaos"
À plus de 70 ans, le dandy des années 1970 sort "les Vestiges du chaos", son treizième album où il marie à la perfection, sens de la mélodie et sons électroniques contemporains. Son inspiration sonore et musicale vient autant des bruits de la ville (Paris ou Tanger, la cité marocaine qu'il habite la moitié de l'année) ou de ses expérimentations sur divers instruments de musique et ordinateurs.
Quarante ans après "les Mots bleus", Christophe renoue avec Jean-Michel Jarre, qui cosigne le titre "Les vestiges du chaos". Il multiplie par ailleurs les rencontres avec notamment l’actrice française Anna Mouglalis, Alan Vega (le New-Yorkais du groupe d’électro-punk Suicide qu’il avait rencontré 10 ans plus tôt), la jeune plume Laurie Darmon ou le parolier Boris Bergman. Il rend aussi hommage à Lou Reed avec le titre "Lou". Le succès critique est au rendez-vous.
Christophe repart en tournée et on le retrouve notamment sur la scène de la salle Pleyel du 31 janvier au 3 février 2017 pour défendre son nouvel opus.
La tournée de 80 dates s'étire jusqu'au printemps 2018 et se termine à la Philharmonie de Paris le 12 mars.
2019 : "Christophe etc."
À la demande de sa maison de disque, Christophe se plie à l'exercice du disque de duos. Avec la collaboration de Sébastien Tellier, Étienne Daho, Eddy Mitchell mais aussi d'artistes plus jeunes tels les rappeurs Nusky et Vaati ou Yasmine Hamdam, il réinvente littéralement ses chansons, les tubes comme les morceaux moins connus. "Christophe etc." sort au printemps 2019.
Le second volume de "Christophe etc." qui sort quelques mois après, voit la participation cette fois-ci de Julien Doré, Juliette Armanet, Pascal Obispo et Arno, entre autres. Christophe redémarre une tournée.
Alors que la France subit de plein fouet l'épidémie de Covid-19, Christophe est hospitalisé à Paris et admis en réanimation en raison d'une "insuffisance respiratoire" le 26 mars 2020.
Transporté dans un hôpital de l'Ouest de la France, Christophe s'éteint le 16 avril à Brest, des suites d'un emphysème pulmonaire. Sa famille choisit de l'enterrer au cimetière du Montparnasse à Paris, près de son dernier domicile. En ces temps de pandémie, les obsèques ont lieu dans la plus stricte intimité le 7 mai 2020.
En octobre 2020, sa maison de disques Universal publie une compilation sobrement intitulée "Ultime". Dans ce disque posthume qui balaie ses six décennies de carrière, on retrouve une version acoustique des "Mots bleus", des titres en live, des reprises, ainsi que des duos avec Julien Doré et Juliette Armanet notamment.
Quelques semaines plus tard, et à l’initiative de son épouse Véronique Bevilacqua, une vente aux enchères est organisée. Parmi les quelque 250 lots mis en vente, l’on retrouve des guitares, du matériel d’enregistrement, des juke-box ou encore des bandes dessinées ayant appartenu à l’artiste. Au total, 650 000€ sont récoltés, une somme folle et inattendue.
En avril 2021, à quelques jours du premier triste anniversaire de sa mort, paraît une autobiographie : "Vivre la nuit, rêver le jour" aux éditions Denoël. Dans ce texte écrit en 2011 et 2012, Christophe se raconte, sans filtre : de son adolescence de jeune voyou en banlieue parisienne, sa passion pour Elvis Presley, et l’autre pour les voitures… Cet auteur atypique de la chanson française livre un récit sincère grâce auquel il noue un lien de complicité avec ses lecteurs.
Avril 2021