Positive Black Soul
En imposant le rap africain sur la scène internationale, les deux membres de PBS ont ramené à leurs lointaines racines un genre né de la culture afro-américaine. Aujourd'hui, des centaines de groupes marchent sur leurs traces mais peu réussissent à atteindre la notoriété du duo sénégalais.
Amadou Barry, alias Doug E. Tee, et Didier J. Awadi, dit DJ Awadi, sont tous deux nés à Dakar, capitale du Sénégal. Amadou est le fils d'un employé d'Air Afrique et d'une femme d'affaire. Quant à Didier, né en 1969, il est issu d'une famille d'instituteurs. Son père est béninois.
Dès l'adolescence, ils démarrent chacun de leur côté une carrière de DJ dans les boîtes de Dakar. Didier est même un temps animateur à la télévision locale. Assez connus sur la scène musicale dakaroise, les deux garçons se font concurrence. A l'époque, au cours des années 80, on peut même parler d'une véritable rivalité. Vers 85, Didier s'impose sur la scène musicale avec son groupe, le Didier Awadi's Syndicate. Puis Amadou devient très populaire quelques années plus tard avec les King MC's. L'adversité entre les deux groupes provient aussi du fait que chacun représente un quartier de la ville. Didier est du secteur Amitié 2 et Amadou de Liberté 6. C'est un système de clan.
Mais la rivalité va s'évanouir lorsque Didier prend l'initiative d'inviter Amadou à sa fête d'anniversaire en août 89. Au cours de la soirée, les deux hommes rappent ensemble et ne tardent pas à se découvrir des valeurs communes. Tous deux ont un immense respect pour l'écrivain Amadou Hampâté Bâ et pour l'humaniste Cheikh Anta Diop, deux figures essentielles de la culture sénégalaise. De plus, ils se sentent l'un comme l'autre prêts à militer pour le développement et le respect de leur continent dans le monde. "Je n'appellerai pas ça du nationalisme noir, mais de l'africanisme", déclare Amadou.
Du jour au lendemain, ils unissent leur motivation et leur talent au sein d'un groupe qui prend comme nom Positive Black Soul. Ce positivisme est au cœur de leur discours. Ils choisissent d'aborder les problèmes de société avec un esprit clair, constructif, voire moralisateur. La création de leur duo les fait progresser. Leur écriture, leur style et leurs voix se complètent. C'est un succès immédiat construit sur des notoriétés locales déjà solides.
L'instrumentation se veut traditionnelle d'où un son totalement novateur, en tous cas pour un public occidental. C'est ainsi que désormais PBS concurrence (respectueusement) la star sénégalaise par excellence, Youssou N'Dour et son mbalax. Courant urbain, le rap de PBS draine toute une mouvance de nouveaux groupes qui trouvent là un support de choix pour s'exprimer.
Elan
Entre 89 et 92, la notoriété de PBS ne passe guère les frontières. Leur importance sur la scène locale est pourtant énorme au sein d'une concurrence pourtant nombreuse. En 92, le centre culturel français de Dakar produit un CD qui tente de refléter l'actualité musicale sénégalaise, "Dakar 92, mbalax, jazz et rap". Naturellement, PBS y figure avec d'autres artistes tels que la pianiste Aminata Fall.
Le déclic a lieu lorsque le rappeur français MC Solaar passe pour la première fois à Dakar en octobre 92. Fan de PBS, il les engage pour assurer sa première partie. Les médias s'emparent donc du sujet et le phénomène PBS commence à prendre de l'ampleur doucement bien qu'aucun enregistrement n'ait encore vu le jour. Début 93, ils font le voyage à Paris pour participer à un festival rap/reggae au Bataclan, invités par le Disco Mixte Club et Radio France Internationale. PBS est un groupe de scène qui attire les foules comme en témoigne leur prestation lors du premier festival de musique de Dakar en 93.
En dépit de sa popularité, le groupe n'a pas beaucoup de moyen. Au Sénégal, personne n'est vraiment intéressé pour les produire. Comme partout, le rap a une image parfois négative. C'est donc seuls qu'ils se prennent en main. Avant d'enregistrer, les deux hommes passent beaucoup de temps à observer les autres musiciens en studio et à apprendre sur le tas. Sans aide particulière, ils sortent leur première cassette en 94, "Boul Falé".
C'est grâce à l'appui d'un Africain de Paris, Mamadou Konté, que leur cassette est promue à travers le continent africain. Mi-malien mi-ségénalais, Mamadou est le créateur d'Africa Fête, manifestation majeure en matière de world music sur la place de Paris. De fil en aiguille, PBS rencontre des publics de toute l'Afrique et se fait remarquer sur la scène internationale.
Salaam
En 94, Baaba Maal les invite sur son album "Firin' In Fouta". Cette rencontre les mène directement vers le label Mango, subdivision de la prestigieuse maison de disques Island. Signer avec cette maison de disques les propulse directement au premier plan du paysage musical mondial. Dès 94, une tournée européenne les mène en Suisse, en Angleterre, au festival de Bourges en avril et deux fois sur la scène parisienne du Passage du Nord-Ouest, salle aujourd'hui disparue. A la fin de l'année, ils apparaissent sur la scène d'Africa Fête et aux Transmusicales de Rennes. Ils sont les coqueluches du courant world et on ne parle que d'eux.
Tout naturellement, sort un CD en 1995. Sur le marché sénégalais, PBS sort des cassettes à intervalle plus fréquent mais pour l'international, un CD s'impose. Titré "Salaam" (La Paix), il reprend nombreux titres des cassettes. Les styles sont variés et reflètent la richesse d'inspiration du groupe : rap hardcore ("Def La Xam"), reggae ("Neloh", "Djokko"), tradition ("Ataya"). Autant que les musiques, les thèmes abordent moult sujets : le panafricanisme, l'image de l'Afrique dans le monde, le malaise social et la gestion du continent par les leaders politiques ("Le bourreau est noir", "Président d'Afrique"). Enfin, sur le titre "Rat des villes, rat des champs", PBS partage un duo (trio?) avec MC Solaar.
La sortie du disque est l'occasion d'une nouvelle tournée. TV, presse, radio, la couverture médiatique est de taille. A Londres, PBS chante avec les Américains de Naughty By Nature. Puis, dès leur retour au Sénégal le 21 décembre, ils entament une tournée nationale.
L'année 96 est tout aussi partagée entre les tournées en occident et en Afrique. En mai, ils sont à Paris au Divan du Monde. Puis, ils s'envolent pour le Festival d'été de Québec en juillet où ils décrochent le Prix Miroir de la chanson francophone en tant que Révélation. En août, retour au pays pour un concert au théâtre Daniel Sorano au cours duquel ils partagent la scène avec Youssou N'Dour.
En octobre, paraît "Daw Thiow" ("Eviter les querelles"), leur quatrième cassette.
Anniversaire
Stars en leur pays, Doug E. Tee et Didier Awadi sont reçus en fanfare par le président Abdou Diouf en février 97. Quelques mois plus tard, ils confirment un peu plus leur impact sur la jeunesse africaine au cours d'une tournée en Afrique centrale qui prend fin le 19 juillet à Libreville. Les deux DJ's de Dakar sont maintenant des piliers de la musique africaine. Le 10 août 97, ils fêtent le huitième anniversaire de leur duo comme ils ont pris l'habitude de le faire depuis leurs débuts. Cette été-là, ils retrouvent le Président qui leur offre sa propriété pour un banquet très couru. Pas forcément populaire, cette prise en charge de la fête par les autorités déclencha une légère polémique.
En septembre, PBS s'envole pour l'Afrique du Sud avec leurs trois danseurs, Jules, Bass et Alioune. Ils tournent à Johannesburg (Festival Arts Alive), au Cap et sur Robben Island, île tristement célèbre pour sa prison qui fut "la résidence" de Nelson Mandela pendant 27 ans.
Nouvelle tournée en mai 98 pour PBS qui visite les lycées de la région avant de sillonner l'Afrique de l'Ouest via les centres culturels français et les alliances françaises.
En juillet 99, ils sont de nouveau invités au Festival d'été de Québec qui leur décerne le Prix Miroir de l'espace francophone. Quelques jours plus tard, ils enchaînent sur le Festival Nuits d'Afrique de Montréal.
2001 : "Run Cool"
Au MIDEM 1998, les PBS s'étaient trouvés un nouveau producteur en la personne de Van Gibbs, fondateur du label Palm Tree Enterprises, proche des Fugees, de Shabba Ranks comme de nombreux artistes des Caraïbes liés à cette super-structure de production. Van Gibbs et son fils, le sorcier de la production ragga hip hop Salaam Remi, qui mettent à la disposition des trois membres du groupe leur studio new-yorkais où ils enregistrent en compagnie de nombreux invités comme Princess Erika ou Red Rat. On retrouve également invité sur cet album "Run Cool", qui sort en Europe au printemps 2001, Ky Mani Marley, un des fils du grand Bob.
Un premier single est extrait de cet album : c'est "Xoyma", chanté en wolof, à la fois électronique et moderne, qui signifie "montre-moi", véritable chanson d'amour qui s'adresse aux jeunes filles.
Une tournée française se déroule au printemps 2001, qui passe par la Cigale à Paris le 29 mars et le festival des Musiques Métisses d'Angoulême le 1er juin. Malgré la sortie d'un second single, l'hilarant "Comment allez-vous ?" l'album a du mal à marcher, malgré la qualité du travail réalisé à New York.
Des dissensions artistiques se font jour à cette époque entre les deux membres du groupe, qui se concrétisent au grand jour lorsqu'Awadi sort son premier album solo "Paroles d'honneur – Kaddu Gor" en 2001.
C'est dans ce contexte qu'est commercialisé en 2003 l'album "New York/Paris/Dakar". Disponible en cassette au Sénégal depuis six ans, il n'avait pu être lancé à l'échelle internationale en raison du départ de Chris Blackwell du label Island. Ses douze titres, réalisés avec la collaboration de K-Mel d'Alliance Etnik, KRS-One et Manu Key circulaient chez les initiés. Cet album, leur plus ambitieux à ce jour, alliant la verve du duo dakarois au talent du producteur américain Scott Harding devait permettre au groupe de prendre un nouveau départ.
Mais dans les faits, il met un point d'arrêt à l'aventure commune des PBS qui s'engagent respectivement dans des carrières solo.
2009 : Retrouvailles
Les premières retrouvailles ont lieu en 2009, pour célébrer les vingt ans du groupe que les deux protagonistes tiennent à garder en vie, conscient de son impact. Un concert anniversaire est organisé à Dakar en août, au cours duquel les chanteurs Youssou N'Dour et Ismaël Lo rejoignent sur scène leurs jeunes compatriotes.
Chacun reprend ensuite son propre chemin, avant de se projeter à nouveau ensemble à l'approche des 25 ans du groupe en 2014. Un mini-album de six titres, "PBS25", est enregistré au Studio Sankara d'Awadi à Dakar, porté par le single "Back Again" et illustrant la volonté de ces jeunes vétérans d'utiliser des sonorités contemporaines.
Ce "nouveau départ", selon leurs termes, se prolonge en live fin décembre au Monument de la renaissance africaine à Dakar, puis à l'Université Cheikh Anta Diop en début d'année 2015 et dans quelques autres lieux de la capitale sénégalaise. En août, ils sont programmés à Montréal au Canada.
À l'occasion des "trente ans du hip hop galsen" (sénégalais, NDR) organisés par le festival Festa2H à Dakar, ils remontent sur scène en 2018 et préparent à leur tour les trente ans de PBS, qu'ils fêtent en premier lieu en août 2019 avec un concert à hôtel Pullman, suivi de quelques autres auprès du public dakarois avant la fin de l'année.
Septembre 2020