Alain Barrière
Si quelques titres impérissables restent inscrits dans l’histoire de la variété française des années soixante, Alain Barrière a connu des fortunes diverses qui l’ont éloigné du music-hall. Désormais retraité, l’inoubliable interprète de "Ma vie" a rejoint sa Bretagne natale.
Fils de mareyeurs, Alain Bellec naît le 18 novembre 1935 à La Trinité-sur-Mer. Il grandit en Bretagne dans un environnement assez difficile où il rêve d’évasion. Entre les plages et la lande, il devient un enfant de la nature, rebelle et solitaire. Un instituteur providentiel se prend d’affection pour le gamin et lui ouvre les chemins de la connaissance. Contre toute attente, Alain devient un élève modèle, curieux de tout. À la fin de ses études secondaires, il part pour Angers où il entre à l’École Nationale des ingénieurs des Arts et Métiers en 1955. Il se consacre entièrement à son futur métier, mais une nouvelle passion entre dans sa vie en 1958. Il s’achète une guitare et commence à écrire ses premières mélodies.
L’année suivante, il s’émerveille de la découverte des poésies modernes de Francis Carco et Robert Desnos. Il commence à glisser des mots sur ses premières compositions qu’il fait écouter à ses amis étudiants. En 1960, diplôme en poche, Alain trouve un premier emploi dans une grosse industrie de pneumatiques en banlieue parisienne. Le soir, il propose son répertoire dans un petit cabaret de la capitale.
En 1961, Alain adopte un pseudonyme, Barrière, et participe au concours du Coq d’or de la chanson française. La finale se déroule à l’Olympia et le jeune auteur compositeur se fait remarquer avec sa chanson "Cathy." En pleine explosion du rock et des yéyés, les maisons d’édition s’intéressent au phénomène et il signe son premier contrat. Il quitte son emploi et vit de quelques cachets dans les petites salles parisiennes.
Sa carrière explose véritablement en 1963, avec la sortie du titre "Elle était si jolie". Sélectionné pour représenter la France au Concours Eurovision de la chanson, Alain Barrière ne finit que cinquième, mais il touche aussitôt un large public. Lors de son passage en première partie de Paul Anka, le jeune chanteur comprend qu’il doit parfaire sa présence scénique.
Un ermite en vedette
Fin 1964, paraît le premier album d’Alain Barrière qui porte le nom d’un de ces plus grands refrains, "Ma vie". Il passe en vedette à l’Olympia et sa chanson est sur toutes les lèvres. C’est le début de la gloire, mais le chanteur n’est pas pour autant prêt à entrer dans un système commercial qui ne lui convient guère. Avec ses premiers gains, il achète un vieux moulin dans les Yvelines où il vit en ermite avec ses chiens, travaillant sur de nouvelles chansons essentiellement la nuit.
En 1966, il accepte une expérience cinématographique qui restera sans lendemain, en interprétant le rôle principal du film "Pas de panique" de Sergio Gobbi. "La Marie-Joconde", "Rien qu’un homme", "Emporte-moi" ou "Les guinguettes" rejoignent les autres tubes que toute la France fredonne jusqu'à 1969, avec les 33 tours qui se succèdent : "Toi" en 66, "Si je rêve de toi" en 67, deux albums en 68 dont un chanté en italien, et A regarder la mer en 69. Ses apparitions à l'Olympia en 66 et 67 sont triomphales.
Un caractère bien trempé
Connu pour son franc-parler, Alain Barrière refuse de subir les lois du star-system et les concessions de tous ordres. Ses rapports avec les gens du métier et les journalistes sont souvent difficiles, les inimitiés nombreuses. C’est ainsi qu'au fait de sa gloire, il s'éloigne déjà du sérail. Au début des années soixante-dix, pour satisfaire son désir d’indépendance, il quitte Barclay qui avait édité ses premiers succès et créé sa maison de production, Albatros. Sa démarche ne plaît pas à tout le monde, ses 45 tours se vendent à un public fidèle et lui permettent de vivre convenablement, mais il ne trouve plus sa place sur les ondes de radio, ni à la télévision.
Une chanson fait exception pourtant en 1975. "Tu t'en vas", qu’il interprète en duo avec Noëlle Cordier, s'installe en tête des classements dans l'Hexagone. Il vend un million de 45 tours et plus de 200 000 albums, le record de sa carrière. Ce titre connaît aussi un large succès dans les pays francophones et même en Allemagne, où il est numéro un des palmarès, un exploit pour une chanson française que seule Édith Piaf avait réussi jusqu’alors.
Cette année 75 est un tournant dans sa vie, puisqu’il épouse Anièce, sa compagne depuis quelques mois, et découvre la paternité avec la naissance de Gwénaëlle. De plus, il concrétise un vieux rêve en achetant un château en Bretagne proche des fameux menhirs de Carnac, qu'il transforme en théâtre-discothèque-restaurant. Le Stirwen ("Étoile blanche" en breton) devient vite un repaire des noceurs qui se souviennent des soirées à thèmes qu’il organise avec son épouse.
Exils à répétition
Mal conseillé par de faux amis, malmené par des entrepreneurs sans scrupule, Alain Barrière connaît alors des démêlés avec le fisc. Le chanteur choisit l’exil, quitte la France en famille pour les États-Unis en 1977 et ne revient que quatre ans plus tard.
Mais son heure semble passée, il ne parvient pas à renouer avec le succès, malgré l’album "Un peu de sang breton", présenté comme celui du grand retour. Une autre tentative échoue deux ans plus tard avec la sortie de "La mer est là".
Alain Barrière décide de repartir pour l’aventure et il s’installe au Québec. Il continue à composer des chansons et trouve surtout la sérénité qu’il recherchait depuis longtemps.
De retour en France au début des années 90, il retrouve son château près de Carnac, ruiné, mais heureux en famille. En 1997, Alain Barrière revient sur le devant de la scène avec deux sorties. Dans une compilation "définitive" intitulée "Ma vie: Trente années de chansons", ses admirateurs retrouvent les refrains remastérisés, dont certains inédits en CD, comme "Amoco" ou "Un poète". "Barrière 97" est constitué de nouveaux titres qu’il interprète lors de son retour sur scène, Salle Pleyel, en février 1998.
En 2003, Alain Barrière reçoit un Trophée de la Nuit pour la discothèque le Stirwen, une récompense pour l’animateur des soirées bretonnes si courues depuis 28 ans. En septembre, il fait ses adieux à la scène dans sa salle de spectacles.
Sa fille Gwénaëlle reprend sa carrière en main en 2005. Le chanteur publie son autobiographie l'année suivante et l'intitule sobrement "Ma vie". Il renoue avec la scène québécoise qui l'a déjà beaucoup accueilli pendant plusieurs décennies, lors d'une tournée de sept dates cette année-là.
Il donne en avril 2007, deux récitals à l'Olympia à Paris à guichets fermés. Il triomphe aussi lors d'un concert au Palais des Congrès en décembre de la même année. En tout, il donne 27 concerts en France. Note négative au tableau, le Stirwen ferme ses portes cette année-là.
Un album intitulé "Chansons françaises" sort en 2008 dans lequel le chanteur reprend des classiques de la chanson comme "La Foule" d'Édith Piaf ou "Les Copains d'abord" de Georges Brassens.
2010 : best-of en trois volumes
Un triple best-of est mis en vente en 2010, rassemblant 53 pistes dont des chansons très connues et des morceaux instrumentaux, plus confidentiels.
Décidé à faire de vrais adieux au public, il programme deux concerts en septembre 2011, un dans son fief de La Trinité et un autre au Palais des Congrès à Paris. Malheureusement, pour raisons de santé, le chanteur est obligé d'annuler.
En 2013, sa fille Gwénaëlle décide de reprendre le flambeau et après quelques travaux, prend la direction du Stirwen, désireuse de donner une deuxième vie à ce lieu emblématique.
Le 15 aout 2013, Alain Barrière reçoit l'insigne de commandeur des Arts et Lettres au Stirwen des mains du comédien Francis Huster.
Octobre 2019