Gilles Vigneault
Chantre du Québec, Gilles Vigneault nous guide dans une quête intime et universelle. C’est un portraitiste de son temps qui nous entraîne dans son univers poétique et ses rêveries, un amoureux de son pays, de la nature et des hommes. Le poète chantant est avant tout un grand humaniste.
Natashquan, un village du Nord, sur les rives du golfe du Saint-Laurent, accessible alors uniquement par bateau, domaine des chasseurs et des pêcheurs. Gilles Vigneault y voit le jour le 27 octobre 1928 dans cette contrée qu’il dépeindra plus tard dans ses chansons. Son père est inspecteur des pêcheries, sa mère institutrice.
À l’âge de treize ans, Gilles Vigneault entre au séminaire de Rimouski pour ses études. Déjà, le jeune homme se revendique poète. Plus tard, ses premiers textes paraissent dans des magazines étudiants et il fonde avec des amis la revue de poésie Emourie, qu'il publiera pendant treize ans. En 1953, il obtient sa licence de lettres et se produit sur les planches avec la Troupe des Treize dont il devient le directeur et metteur en scène entre 1956 et 1960. En 1958, la troupe remporte un trophée au Festival national d'art dramatique de l'Est du Québec. Bien des années plus tard, il aimera retourner régulièrement vers l’art dramatique entre deux disques.
Marié à Rachel Cloutier - dont il aura quatre enfants - en 1955, le jeune diplômé enseigne le français à Valcartier, puis à l'École de technologie de Québec. Parallèlement, il dit ses premiers textes dans un café-théâtre et travaille pour la télévision balbutiante. Il y anime une émission folklorique et rencontre Jacques Labrecque, qui sera le premier à donner vie en musique à un personnage créé par Gilles Vigneault, Jos Monferrand, en souvenir des hommes du terroir de son enfance. Un éditeur refuse ses poèmes en 1959. Gilles Vigneault ne s’en offusque pas et créé sa propre société, Les éditions de l’Arc, qui lui permettra de publier ses contes et recueils de chansons tout au long de sa carrière.
La chanson, une révélation tardive
Poussé par quelques amis, il chante ses premières chansons sur scène en 1960, dans une petite salle de Québec et, beau cadeau d’anniversaire le 27 octobre, à Rimouski, en première partie de Félix Leclerc. C’est le début de sa collaboration avec son fidèle pianiste Gaston Rochon. L’année suivante, il rencontre Georges Brassens et Catherine Sauvage qui sera la première femme à reprendre ses chansons dans son répertoire. Cette même année 1961, il sacrifie sa carrière d’enseignant et, après de nombreuses apparitions très remarquées, donne son premier récital à Montréal. Il enregistre son premier album en janvier 1962, où figurent les désormais classiques "Jack Monoloy" et "La danse à Saint-Dilon".
Dès lors, Gilles Vigneault s’impose parmi les talents incontournables du Québec. Il reçoit le Prix du disque 62 et se produit dans toute la Belle Province. "Tam ti delam "est le titre phare d’un second album qui paraît l’année suivante. Il chante pour la première fois à la Comédie canadienne de Montréal, qu’il retrouvera chaque année jusqu’en 1968 avec un succès grandissant.
Le troisième album est prêt en 1965, une année riche en événements puisque Gilles Vigneault est aussi comédien et auteur de la chanson du film "La neige a fondu sur la Manicouagan". Si le film est aujourd’hui oublié, sa chanson "Mon pays" est présente dans tous les esprits. L’artiste se produit pour la première fois en Europe lors d’un gala de la communauté des radios publiques de langue française en novembre 65, et s’installe à Bobino à Paris en octobre 66 pour une semaine, avec Pauline Julien, une de ses fidèles interprètes, en première partie.
En 1967, sort l’album "La Manikoutai" à Montréal. Après la visite historique du général de Gaulle ("Vive le Québec libre!"), l’Olympia consacre trois soirées en septembre aux nouveaux talents francophones d’outre-Atlantique. Gilles Vigneault s’y produit pour la première fois. Il revient en France pour sa première tournée en 1968, en lever de rideau de Serge Reggiani.
À partir de 1969, Gilles Vigneault partage son temps entre Québec et l’Europe. Une nouvelle compagne, Alison Foy, entre dans sa vie. En France, le prix de l’Académie Charles-Cros récompense son album "Du milieu du pont" en 1970 et plusieurs 33 tours compilant ses anciens succès et ses nouvelles créations sortent sur le marché français, sous un label qu’il contribue à lancer, L’Escargot. Olympia, Bobino, Théâtre de la Ville : les salles parisiennes acclament le poète québécois. En juin, il chante à l'Exposition universelle d'Osaka au Japon. Il se rapproche de la cause indépendantiste au début des années 70, en participant à de nombreuses manifestations, et critique ouvertement la politique du gouvernement, notamment avec une charge contre le Premier ministre de l’époque, dans "Lettre à Ti-Cul Lachance".
1974 : "J’ai vu le loup, le renard..."
La Superfrancofête rassemble 130 000 personnes le 13 août 1974, sur les plaines d’Abraham, en présence des Premiers ministres de Québec et du Canada. Avec son aîné Félix Leclerc et le benjamin Robert Charlebois, il participe à un spectacle qui fait date dans l’histoire de la chanson francophone. L’album "J’ai vu le loup, le renard, le lion" témoigne de cet événement majeur, où le trio chante à l’unisson l’universel hymne à l’amour écrit par Raymond Lévesque.
Gilles Vigneault crée en 1975, lors d’un spectacle sur le mont Royal, sa chanson "Gens du pays", aussitôt adoptée par tout un peuple qui reprend le célèbre refrain. Certains pensent même alors en faire l’hymne officiel du Québec.
En 1976, Gilles Vigneault retrouve Robert Charlebois pour deux autres concerts mémorables, en juin. Avec Yvon Deschamps, Jean-Pierre Ferland et Claude Léveillée, ils partagent l’affiche de la soirée "Une fois Cinq" devant 300 000 spectateurs. L’album enregistré à cette occasion remportera le prix de l’Académie Charles-Cros. Il se marie en septembre avec sa compagne Alison, dont il a déjà trois enfants. Sa chanson "J’ai planté un chêne" accompagnera le Parti Québécois (indépendantiste) jusqu’à son accession au pouvoir en novembre, et "I went to the market" connaîtra un grand succès populaire.
Tout en poursuivant sa carrière discographique et scénique (50 dates à Bobino et presque autant à Montréal en 1977), Gilles Vigneault innove en écrivant des contes et des chansons pour enfants à partir de 1978. "Les quatre saisons de Piquot" sera suivi par d’autres escapades dans l’univers des plus petits. Son fidèle arrangeur et pianiste Gaston Rochon s’éloigne, Robert Bibeau le remplace et signe la direction musicale d’"Avec les mots du dimanche", un double album reprenant le titre de son spectacle du Grand Théâtre de Québec, en octobre 1979. L’année suivante, "Je vous entends chanter", un album interprété par Pauline Julien, Fabienne Thibeault, Nicole Croisille et quelques autres, rend hommage à sa carrière. En mai, l’échec du référendum pour une plus grande autonomie du Québec l’affecte durablement.
Le barde national du Québec
La décennie suivante se passe sous le signe de la reconnaissance d’un authentique poète et chanteur à la production riche et abondante. En septembre 1980, de nombreux artistes lui rendent hommage lors du spectacle "Je vous entends chanter" à la Place des Nations à Montréal. Le Conseil des Arts du Canada l’honore en 1982 pour avoir exprimé pendant plus de 25 ans l’âme de ses contemporains, l’Académie Charles-Cros lui décerne son prix in honorem pour ses disques pour enfants en 1983 et il reçoit la Légion d’honneur française en 1984.
Après son album "Un jour, je ferai mon grand cerf-volant", il s’installe avec femme et enfants à Paris pour une année où il publie une anthologie de ses textes au Seuil et tourne dans l’Hexagone. Gilles Vigneault retourne au Québec en 1986 et enregistre l’album "Les îles". Il monte un spectacle autour de deux personnages, "Le temps de dire", qu’il chante, conte et danse près de 250 fois en Europe pendant deux ans, avant de le présenter au Théâtre du Nouveau Monde de Montréal.
101 chansons composent un coffret anthologique de six CDs pour fêter ses trente ans de carrière. Nous sommes en 1990 et un nouveau Prix de l'Académie Charles-Cros récompense cette compilation de Gilles Vigneault, qui reçoit aussi les insignes d’officier des Arts et Lettres à Paris. En novembre, de nombreux artistes fêtent ses trente années de vie artistique lors d'un spectacle présenté dans le cadre des Francofolies de Montréal. En 1992, il chante devant 70 000 personnes à l’occasion du 350e anniversaire de Montréal et constate que la jeune génération adhère aux idéaux et à la cause indépendantiste qu’il a toujours défendus. En 1995, un nouveau référendum échoue pourtant, même si l’écart entre les séparatistes et les unionistes s’est considérablement réduit. La souveraineté reste une utopie.
En 1998 paraît une compilation "Au milieu de vous", avec quelques inédits, dont "Le chant du portageur". En 2000, il promène ses "Voyagements", du titre d’un spectacle dont témoigne un double album l’année suivante, tant au Québec qu’en Europe.
A la sortie de son album "Au bout du cœur" en août 2003, Gilles Vigneault se demande si celui-ci ne sera pas le dernier, à l’heure d’Internet et des nouvelles possibilités de diffusion. Avec un nouveau spectacle en tournée depuis l’automne au Québec, il revient en France en mars 2004, à l’Auditorium Saint-Germain.
Toujours prolixe, Gilles Vigneault fait paraître en 2004 "Un dimanche à Kyoto", un recueil de chansons, contes et comptines et il publie, en 2006, un conte symphonique intitulé "Les quatre saisons de Piquot".
À partir de 2007, il tourne au Québec avec un nouveau spectacle baptisé "Chemin faisant". Il y chante plus de nouvelles chansons que jamais, sans oublier les classiques que le public lui réclame toujours : "Jacques Monoloy", "Les gens de mon pays", etc.
2008 : "Arriver chez soi"
Preuve que le chantre n’a pas décidé de s’arrêter en si bon chemin, il présente un nouvel album en 2008 au Québec, "Arriver chez soi" qui sort en 2009 en France, un évènement alors que son dernier opus sorti dans l’Hexagone remontait à 1996 avec "C’est ainsi que j’arrive à toi". Sur "Arriver chez soi", il est beaucoup question du temps qui passe, d’écologie, des méfaits des nouvelles technologies, mais aussi d’amour.
Le 26 octobre 2009, à la veille de ses 81 ans, Gilles Vigneault monte sur la scène de l’Olympia, à Paris, qu’il n’avait pas foulé depuis douze ans. Il est ovationné par une salle bien remplie composée d’amoureux du Québec et de personnalités comme Hubert Reeves, Hugues Aufray ou encore Fabienne Thibault. En pleine forme, Gilles Vigneault y souffle ses bougies d’anniversaire d’un seul souffle. Le lendemain, il entre en studio pour enregistrer un album de ses chansons interprétées en duo avec Charles Aznavour, Juliette Gréco, Guy Béart ou encore le Suisse Michel Bühler, album qui parait en 2010 sous le titre "Retrouvailles".
Une foule de plus de 40 000 personnes se déplace en juillet 2010 sur les plaines d'Abraham pendant le Festival d'Eté de Québec et applaudit le chanteur-poète qui fête là ses 50 ans de carrière. Il est accompagné de sa fille Jessica, de Florent Vollant et des Charbonniers de l'enfer.
2011 voit la sortie d'un deuxième volume de "Retrouvailles" réunissant cette-fois-ci uniquement des artistes québécois dont Daniel Boucher, Luc de La Rochelière, Fred Pellerin ou encore Richard Seguin.
La tournée "Arriver chez soi" qui avait débuté en 2009, se poursuit jusqu'en 2012 (au Québec et en Suisse). Il aurait souhaité poursuivre mais une sévère pneumonie en 2013 le contraint à annuler des concerts. Cette même année, Gilles Vigneault sort un disque-livre pour les enfants "Léo et les Presqu'îles" avec des illustrations de Stephane Jorish. Cette histoire de pêche rassemble des interprètes prestigieux comme Robert Charlebois, Diane Dufresne ou Edith Butler.
A 85 ans, Gilles Vigneault semble toujours inspiré. Il enregistre une quinzaine de nouvelles chansons sous la houlette de Daniel Lavoie qui se charge de la réalisation.
2014 : "Vivre debout"
Fidèle au thèmes qui l'ont toujours intéressé, Gilles Vigneault rend compte comme d'habitude avec cet album de ses engagements citoyens ("l'Isoloir") ou écologiques ("Uranium"). Il va même jusqu'à dresser "Un inventaire", sorte de bilan personnel et collectif.
L'artiste poursuit inlassablement ses activités, mélangeant avec talent, littérature, musique et rendez-vous avec son public. On le voit dans des "rencontres forum", des ateliers d'écriture, des récitals.
En septembre 2016 sort un nouveau conte pour enfants, écrit par ses soins, "Gaya et le petit désert" avec des illustrations de Stéphane Jorisch. Puis en octobre, le Conseil des arts et des lettres du Québec lui remet l'insigne de l'Ordre des arts et des lettres du Québec.
Fêté, applaudi, Gilles Vigneault ne s'arrête pas pour autant et publie un nouveau recueil de poèmes inédits "Le Chemin montant" en 2018 alors qu'est publié quasiment en même temps "Ma jeunesse", soit une nouvelle interprétation de ses classiques comme "La danse à Saint-Dilon", "J’ai pour toi un lac" et "Les gens de mon pays".
Octobre 2018