Guy Béart
Avec Brel et Brassens, Guy Béart est considéré comme le troisième grand B de la chanson française. Raccourci un peu rapide mais si Béart ne bénéficie pas d'une auréole aussi prestigieuse que ses compagnons Jacques et Georges, son talent n'en est pas moindre. Que ce soit par l'universalité des thèmes abordés ou par des mélodies dont chacun se souvient, Guy Béart appartient indéniablement au panthéon des maîtres de la chanson française.
C'est au Caire, en Egypte, que naît Guy Béart, de son vrai nom Béhar, le 16 juillet 1930. Son enfance est ponctuée de déménagements autour de la Méditerranée et jusqu'au Mexique. Son père, expert-comptable, participe à la création d'entreprises. Après donc l'Egypte, la Grèce, la France, l'Amérique, c'est au Liban que la famille se fixe. Guy y demeure de l'âge de 10 à 17 ans. Cette enfance voyageuse lui vaut une vaste culture générale qui s'étend des sciences aux arts. Quant à la musique, elle est en bonne place dans les passions de l'adolescent.
Choix
Lorsqu'il débarque à Paris en 1947, il s'inscrit immédiatement à l'Ecole Nationale de Musique. Plutôt doué, il joue de nombreux instruments avec un faible pour les cordes (violon, mandoline). Mais parallèlement, il intègre tout aussi brillamment l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, une des plus fameuses écoles françaises d'ingénieur. Il en ressort diplômé et spécialisé dans des secteurs pointus (les cristaux, la fissuration du béton).
Au début des années 1950, Guy hésite longtemps entre les deux carrières : la chanson ou le béton ? La disparition de son père en 1952 le laisse un peu perdu. Il travaille dans un bureau et sur des chantiers pour faire vivre sa mère et sa sœur. A partir de 1954, il chante le soir dans les cabarets de la Rive gauche de Paris, rive gauche de la Seine où sont regroupés la plupart des lieux où tout artiste se doit de passer pour se faire un nom : la Colombe, le Port du salut, les Trois baudets ou Bobino. Ses textes font mouche et Guy Béart devient l'employé de bureau le plus connu de la capitale. La chanteuse Patachou repère ce jeune homme timide dans son costume strict. Elle reprend très vite la chanson "Le Bal chez Temporel", suivie de près par Zizi Jeanmaire et Juliette Gréco ("Chandernagor", "Qu'on est bien") qui commandent des titres au jeune homme.
Des hauts…
1957 est l'année où tout démarre. Le producteur artistique Jacques Canetti prend Guy Béart en main et lui fait enregistrer, avec l'aide de Boris Vian, son premier 25 cm. Difficile à convaincre, le chanteur grave pourtant sur ce premier enregistrement quelques perles de son répertoire. Le disque est couronné en 1958 du Grand prix de l'Académie du Disque Français. Dans la foulée de ce succès public et critique immédiat, il monte pour la première fois sur la prestigieuse scène de l'Olympia. Ce premier récital reste célèbre pour les fous rires et les trous de mémoire du chanteur. Mais le public chaleureux reprend en chœur ses titres déjà bien connus.
En 1960, il devient célèbre auprès du grand public grâce à la chanson "L'Eau vive", écrite pour le film du même nom. Ce titre devient un des classiques de la chanson française, de ceux qu'on apprend dans les écoles. Ses textes, un rien naïfs, séduisent un large public. Et à l'instar de Georges Brassens, les mélodies de Béart sont simples à l'écoute mais souvent complexes dans leur écriture.
…Des bas
Si Guy Béart connaît un début de carrière réussi, les années 1960 et les nouvelles modes venues d'Amérique (rock'n'roll, yéyé, et autre twist) sont la cause de quelques soucis professionnels. Certains chanteurs de sa génération (Gainsbourg, Bécaud, Aznavour) passent très bien ce cap où la chanson française traditionnelle connaît une rude concurrence. Ce n'est pas le cas de Guy Béart. Les maisons de disques se désintéressent de lui, à tel point qu'il ne peut plus enregistrer. Il décide donc en 1963 de monter son propre label autogéré, l'APAM (Auto Production des Artistes du Micro) avec l'aide de Jacques Canetti. De plus, son ancienne maison de disques, Philips, refuse de lui rendre les droits de ses chansons. Le procès durera jusqu'en 1978 !
A défaut de réussir dans la chanson, Guy Béart créé une émission pour la télévision qui va devenir extrêmement populaire au cours des années 60, "Bienvenue". De 1963 à 1970, il reçoit sur son plateau nombreux artistes du monde du spectacle et des arts. De Duke Ellington à Yves Montand, tout le gratin de l'époque se croise "chez Guy Béart". Ce dernier en profite d'ailleurs pour continuer à faire connaître ses propres chansons.
En 1965, sa compagne Geneviève Galéa donne naissance à leur fille Emmanuelle qui, vingt ans plus tard, deviendra une des actrices françaises les plus célèbres dans le monde.
1966 : "Vive la rose"
En 1966, il enregistre un album de vieilles chansons françaises traditionnelles, "Vive la rose". Puis l'année suivante, c'est au contraire vers la science-fiction qu'il s'oriente avec un disque pour les plus jeunes, "Guy Béart chante l'espace". Autour de ces deux thèmes, il monte en 1967 un spectacle nommé "Chansons d'avant-hier et d'après-demain" qui est donné à la Comédie des Champs-Elysées. Le poète Louis Aragon en personne écrit un article élogieux qu'il commence ainsi : "C'est le charme, comment dire autrement ? Le charme et le talent. L'extraordinaire présence, si complexe, de cet homme seul sur la scène (…)." (in Les Lettres Françaises).
Lorsqu'il met fin à son émission "Bienvenue" en 1970, le public a un peu oublié le chanteur. Pourtant, Guy Béart n'a guère cessé de sortir des albums au cours des années 1960 et en sortira huit dans les années 1970. Artiste à l'esprit scientifique, il s'intéresse à de nombreux thèmes aussi divers que l'architecture, la philosophie, l'amour ou la religion. Il ne cesse d'écrire et son inspiration court toujours autant de la tradition la plus classique ("Les Chansons gaies des belles années", 1982) au futurisme le plus abstrait ("Futur-Fiction Fantastique", 1977) en passant par l'actualité la plus chaude vaguement empreinte de mysticisme ("Les Nouvelles Chansons", 1978).
En 1976, la poésie des chansons de Guy Béart séduit un couple de grands comédiens français, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault. Ils décident ensemble d'enregistrer un album dans lesquels les deux acteurs lisent un choix de trente et un textes.
Eclipse
Pendant les années 1980, Guy Béart va de nouveau rencontrer maints problèmes avec les maisons de disques. Il sort trois albums de 1980 à 1982 ("D'apocalypses en Messies" "Le Beau miroir", "Porte-Bonheur"). Mais, de graves problèmes de santé l'obligent à se retirer dans sa grande villa de Garches en banlieue parisienne.
Il réapparaît en 1986 à l'occasion de l'album "Demain je recommence". Puis l'année suivante, il évoque sa maladie dans un ouvrage, "L'Espérance folle", qui obtient le Prix Balzac. En dépit, d'une série de récitals à l'Olympia en décembre 1987 et d'un Grand Prix de la chanson française, commence à cette époque une longue période pendant laquelle Guy Béart se retrouve à nouveau sans maison de disques. Il vend ses droits à une compagnie qui l'escroque, et décide alors de sortir de sa retraite. Mais il a du mal à décrocher des concerts. On le voit en juillet 1991 au festival de Pau puis en 1993, au Festival de la chanson de Sauve. L'accueil est excellent à chaque fois.
En mars 1994, c'est chez lui à Garches qu'il organise un concert pour présenter les chansons d'un nouvel album. Récompensé peu après par le Grand Prix de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre, Guy Béart retrouve les feux de la rampe. En 1995, sort sur le label Trema, l'album "Il est temps" avec douze chansons inédites. Puis, il remonte sur la scène de l'Olympia du 20 au 25 février 1996 pour des concerts de parfois trois heures !
Début 1999, Guy Béart remonte sur scène à Bobino pour plus d'un mois du 21 janvier au 27 février. Le succès est énorme et le spectacle est prolongé. Peu de nouveaux titres cependant dans ce spectacle construit sur les tubes d'antan. A cette occasion, ressort le double live de l'Olympia 96.
Les années suivantes, il les consacre à préserver sa santé, luttant notamment contre le cancer. L'artiste, retiré du monde, vit toujours dans sa grande maison de style Bauhaus à Garches en région parisienne. Il écrit aussi de nombreuses chansons, pas du tout décidé à les faire paraître sur disque. En 2008, il commence pourtant à en enregistrer certaines dans un home studio installé au rez-de-chaussée de sa maison.
2010 : "Le meilleur des choses"
Il faut attendre septembre 2010 donc, pour que Guy Béart sorte à nouveau un disque de chansons originales. C'est "Le meilleur des mondes". S'accompagnant à la guitare, le chanteur propose douze textes enlevés qui traduisent tous le regard aiguisé et malicieux qu'il porte sur la société. Béart éreinte la télévision "Télé Attila", rend hommage au guitariste Marcel Dadi, ou évoque l'amour de façon coquine dans "Les amours tranquilles". A 80 ans, sa voix n'a pas bougé. La critique quant à elle, salue le retour discographique et médiatique d'une des dernières grandes figures de la chanson française.
La maison de disque de Guy Béart profite de cette actualité pour commercialiser une compilation, soit un triple CD qui présente le meilleur de son œuvre.
Le 17 janvier 2015, le chanteur se produit à l'Olympia à Paris pour une soirée d'adieu à la scène. À cette occasion, l'octogénaire interprète pendant près de 4 heures, accompagné d'une formation de quatre musiciens, une soixantaine de chansons qui rendent compte d'un répertoire riche et poétique. La ferveur du public est là qui reprend avec lui deux fois, sa chanson la plus populaire "L'eau vive". Sa fille Emmanuelle Béart vient chanter avec lui un joli duo, plein de tendresse, "Il n'y a plus d'après" et Julien Clerc le rejoint aussi pour "Vous" un titre de 1958. Ce passage unique à l'Olympia est une remarquable façon de clore une carrière scénique de près de 50 ans.
Le 16 septembre, l'artiste fait une mauvaise chute non loin de son domicile et ne peut être réanimé. Celui qui avait fait ses adieux à la scène en janvier dernier, meurt donc à Garches ce même jour.
Septembre 2015